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Que mettrons-nous dans nos assiettes dans 5 ans ? Connaîtrons-nous la fin du saumon en No...
janvier 2024
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Claude Didry est sociologue, directeur de recherche au CNRS au sein du Centre Maurice Halbwachs.
En 2016, il signe de sa plume L’institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire.
Il s’apprête à publier en octobre 2023 un ouvrage qu’il a dirigé, Face au covid 19: l’enjeu du salariat.
Avec lui, nous signons un écrit coloré de dialogue social.
Ensemble, nous avons la conviction qu’un plein-emploi de qualité devra en être teinté.
Cette tribune investigue les enjeux d’un chantier législatif sur le travail, dans un contexte post-covid, post-réforme des retraites, etc.
Dans son allocution du 17 avril 2023, le Président de la République entend sortir de la crise ouverte par la réforme des retraites en ouvrant un nouveau chantier législatif sur le travail.
Il prend acte du dynamisme actuel de l’emploi, qu’il attribue à l’action menée au cours des six dernières années.
Le temps est-il venu pour parler travail, après des décennies de « politiques de l’emploi » focalisées sur la lutte contre le chômage ?
Pour le sociologue Claude Didry, le discours présidentiel, dans son discours politique sur le travail, indique une inflexion : Le travail, entre autres, est maintenant associé à la reconquête d’une souveraineté industrielle, dans un contexte de crise écologique.
Neuf, ce positionnement s’engage pour un travail de qualité, mis au service d’un projet commun désirable.
Mais pour le sociologue, la crédibilité de ce discours est minée par la succession des « lois travail » qui, depuis les années 2000, défont à bas bruit le droit du travail.
La réforme des retraites mais aussi la réforme du chômage ont successivement défait les attentes des salariés en matière de garantie de revenu en créant une baisse générale des pensions de retraites et de l’indemnité chômage avec un aléa énorme de son montant.
Tout se passe comme si nous étions enfermés dans les années 1990, dominées par la fameuse phrase de François Mitterrand « contre le chômage, on a tout essayé » et l’horizon de la fin du salariat stable.
Finalement, on reste focalisé sur le chômage en faisant parfois son deuil du travail, avec le revenu minimum, en prônant le plus souvent une « adaptation » du droit du travail pour en « alléger » la charge sur les employeurs. Le chômage est perçu comme ce déséquilibre entre une offre et une demande sur un « marché du travail ».
De fait, les « politiques de l’emploi » se ramènent à des mesures techniques, formulées sous conformisme économique.
Une telle perception réduit le travail et son contenu à un bien échangé sur un marché.
Les prophéties sur la disparition du travail se succèdent : l’informatique dans les années 1970, la tertiarisation dans les années 1980, Internet et la globalisation dans les années 1990, le télétravail et les microentrepreneurs de plateforme aujourd’hui. Or, il faut revenir à la réalité présente et passée du travail.
Selon Claude Didry, la sociologie ne doit pas hésiter à mettre au jour des permanences dans la vie sociale. À ce titre, l’emploi salarié en CDI représente une part relativement stable de la population active depuis les années 1970, en se situant autour de 70 %.
L’ancienneté moyenne des salariés dans l’entreprise est croissante avec l’âge, pour atteindre près de 25 ans dans la classe d’âge des 60 ans.
Mais il y a plus que cette courbe du chômage relativement basse. Il y a un fait social majeur que la focalisation sur les statistiques du chômage et le paradigme du « marché » occultent : c’est la croissance de la population active depuis les années 1970.
En effet, entre 1975 et 2019, celle-ci a augmenté de 36 % quand, la population totale, elle, passe de 55 à 67,5 millions, soit une croissance d’environ 23 %.
Sur une même période, la croissance de la population active devance la croissance de la population totale.
Le travail comme activité rémunérée occupe une place croissante dans la vie sociale et atteint aujourd’hui un niveau inédit, ce qui tient en premier lieu à une croissance continue de l’activité des femmes.
Au-delà de la question du rapport de l’individu au travail, le travail salarié stable (+ 2,8 millions d’emplois entre 1982 et 2022) est un fait social majeur dont les évolutions accompagnent les transformations d’autres institutions, comme par exemple la famille.
Reconnaître ce fait social c’est être en capacité, dans un second temps, de renforcer par une politique du travail ce que Claude Didry nomme une construction institutionnelle.
Elle porte trois enjeux :
L’enjeu est d’abord sécuritaire.
Le travail est au cœur du salariat en faisant l’objet d’un contrat dit de « travail » entre un employeur et un salarié. Dans ce contrat se joue une sécurité du revenu en contrepartie d’une prestation de travail. En paraphrasant le sociologue Bernard Friot, on parle de l’enjeu du salaire, comme engagement de l’employeur à l’égard du salarié, que prolonge le remplacement du salaire par la sécurité sociale en cas d’empêchement du salarié, du fait de la maternité, de la maladie, de l’accident du travail ou maladies professionnelles et de la vieillesse avec la retraite. Cette régularité du revenu, liée à celle des horaires de travail, permet au salarié de s’investir dans sa vie de citoyen, d’aidant et/ou de parent.
Corrélée à la promesse de propriété, la stabilité de l’emploi permet les petites audaces et les grands engagements de la vie.
L’emploi c’est la possibilité d’un horizon rendu tangible.
L’enjeu est ensuite communautaire.
Le travail est tout sauf une activité solitaire et le contrat de travail plonge le salarié dans une collectivité constituée par ceux qui ont été engagés par un même employeur. Le travail d’une personne s’inscrit donc dans une coordination avec celui d’autres personnes, qui ne se résume pas aux prescriptions de ses supérieurs hiérarchiques qui sont eux-mêmes – le plus souvent – des salariés. Il en résulte une dimension collective que le salarié expérimente dans le cours de son activité mais également à travers l’élection de représentants dans des institutions.
Le travail est un « œuvrer ensemble » et par là-même l’apprentissage d’une participation démocratique.
Enfin, subsiste un enjeu de reconnaissance.
Ce qui se joue dans la permanence de l’emploi est une reconnaissance du travail sous la forme d’une carrière professionnelle marquée par une qualification ascendante et, en conséquence, une progression régulière du salaire. Cette reconnaissance du travail, dans l’emploi, conduit le travailleur à évoluer dans un groupe à travers des responsabilités croissantes. Il y puise une satisfaction qui lui procure le sentiment de son utilité dans la participation à la réalisation d’une production collective.
Le travail est tout à la fois, identité, dignité, fierté.
Les réformes du travail et de l’emploi doivent restaurer cette construction institutionnelle mise à mal par les réformes qui se sont succédé, notamment au cours de la dernière décennie.
Les garanties qui entourent le contrat de travail et la régularité du revenu constituent en tant que telles un chantier très important.
Mais il reste également, et ce n’est pas une mince affaire, à recréer les conditions d’une véritable participation collective à la vie des entreprises, en partant d’une meilleure représentation des différentes composantes de l’entreprise et en envisageant un renforcement de la participation de tous.
Créer un climat propice à la vie du collectif implique l’idée que le corps social participe aux décisions qui le concerne. Pour cela, il faut se demander ce qu’il advient des institutions représentatives du personnel et de la négociation dans l’entreprise.
Sur ces terrains, tout laisse à penser que la démocratie sociale s’éloigne des salariés.
Maintenant, plus qu’avant, le dialogue social et la participation des salariés doivent reposer sur des piliers qui, peut-être, permettront la reconquête du pouvoir d’agir de certaines catégories professionnelles et par là même une plus grande pertinence de certaines décisions.
Aujourd’hui, les salariés français ont matériellement peu de moments, d’endroits d’expression.
En la matière, les syndicats sont précieux puisqu’eux seuls assurent la représentativité du corps social. Or, en France, nous ne sommes pas les plus doués pour assurer cette représentativité. Si les salariés scandinaves sont fortement représentés dans les conseils d’administration (⅓ des membres dans les entreprises de plus de 35 salariés au Danemark et dans les entreprises entre 50 et 200 salariés pour la Norvège), en France, leur présence n’est pas significative. Pourtant, pour le sociologue, sur une base d’élection, « Le syndicat est à la représentation des salariés ce que le parti politique l’est aux citoyens ».
Peut-être est-ce là l’occasion d’un questionnement politique profond sur la posture et le rôle des syndicats.
Ici, la crise pandémique a joué un rôle révélateur, obligeant les employeurs à admettre la nécessité des responsables syndicaux dans des périodes critiques, tant par leur connaissance du travail, que par celle des salariés et la confiance que ceux-ci ont à leur égard.
Claude Didry annonce à cette occasion la publication imminente d’un ouvrage collectif sur le retour des institutions du salariat que le covid a suscité, dans la recherche d’une adaptation de l’organisation du travail à la nécessaire prévention des contaminations.
En définitive, le travail salarié appelle une véritable sécurisation des contrats de travail, une représentation plus systématique et moins superficielle des collectivités de travail, ainsi que la reconnaissance d’une qualification des personnes leur permettant de compter sur l’horizon d’une carrière.
>> Repenser le besoin d’affirmation et de reconnaissance du travailleur :
L’entreprise est une société dans la société.
Ce qu’elle permet, ce qui y est permis dépasse le cadre de l’entreprise.
Les modèles d’organisation qui favorisent l’autonomie et la responsabilité colorent le travail d’une fonction éducative.
Le philosophe Hegel parle d’une liberté nouvelle, celle du travailleur prenant conscience de lui-même à travers ses œuvres.
En offrant cette expression individuelle d’une façon de faire ou défaire, le travail « exalte » les personnes pour le sociologue Maurice Halbwachs, les rend plus efficaces, leur donne une confiance et une capacité élargies, les préparant à des responsabilités plus larges.
>> Réinstaurer des instances de débats :
Réparer le travail nécessite que ceux qui l’exercent puissent se faire reconnaître et entendre.
Si miser sur un management de proximité apparaît comme un bon point de départ dans l’animation d’un dialogue, il reste insuffisant. La voix des salariés nécessite des instances qui permettent un recours contre un management qui peut s’avérer parfois « toxique », notamment en matière d’évaluation.
Il y a bien une institution qui a fait défaut, notamment au cœur de la pandémie, c’est le CHSCT (Comité d’Hygiène et de Sécurité des Conditions de Travail) réunissant directions, élus du personnel mais aussi Inspection et Médecine du travail. Alors que celui-ci a été supprimé « par ordonnance » du 22 septembre 2017, il convient de rappeler la triste performance de la France en 2019 avec près de 3,5 accidents mortels pour 100 000 travailleurs, pour une moyenne européenne de 1,8.
Mais plus encore, ce qui manque à l’actuel CSE d’une entreprise pour marquer la dimension d’appartenance collective c’est le renforcement d’une instance de débat réellement ancrée sur des enjeux d’organisation et d’utilité du travail, qui mette notamment au cœur de ses considérations les innovations portées par les salariés.
Plus de 40 ans après la loi Auroux, on peut aujourd’hui penser que l’entreprise a besoin d’une œuvre de re-démocratisation.
C’est que la démocratie commence au travail, dans la collectivité des collègues que l’on croise régulièrement et avec qui s’enracine la pratique démocratique qui se poursuit dans les urnes de la République.
Plus près de nous, cette aspiration démocratique s’est retrouvée dans les initiatives d’un syndicalisme exceptionnellement rassemblé en faveur d’un débat parlementaire sur la réforme des retraites.
Pour le sociologue, il y a lieu de lancer un appel solennel à l’ensemble des forces sociales pour sortir de la crise politique que nous vivons en accompagnant cette indispensable démocratisation du travail, face aux menaces qui pèsent sur la démocratie et les principes d’un ordre républicain.
Référence :
Pierre Boisard, Claude Didry et Dima Younès, Les travailleurs de l’innovation. De l’entrepreneur aux salariés, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2016.
URL : https://books.openedition.org/pur/62995?lang=fr
Auteurs :
Camille Richard, Consultante chez The Boson Project.
Claude Didry, Sociologue, directeur de recherche au CNRS.
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