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Ça vient d’où cette histoire de RSE ?

Globalement, tout le monde a déjà entendu le terme “RSE” au moins une fois dans sa vie. Il y a ceux qui font semblant de savoir ce que ça signifie, ceux qui s’offusquent que la totalité des dirigeants ne l’aient pas déjà tous tatoués sur leur poing, ceux qui l’utilisent dans leur communication parce que “ça rend plutôt bien”, ou encore ceux qui s’arrachent les cheveux à essayer de faire rentrer ces notions dans des cases. Et dans chacune de ces situations, on ne peut nier que la RSE impacte désormais de nombreuses entreprises et directions. Et quitte à devoir composer avec, autant comprendre ses origines, applications et prétentions. C’est ce que les Bosons vous proposent d’investiguer au travers de cette série d’articles sur la RSE.

Au choix, RSE peut se traduire par Responsabilité Sociétale des Entreprises, ou alors Responsabilité Sociale des Entreprises. Les plus téméraires peuvent même s’aventurer à utiliser le terme RSO,  Responsabilité Sociétale (ou Sociale) des organisations. Rien que dans l’intitulé, on comprend déjà que ça ne va pas être simple…

Et qu’est-ce que ça signifie concrètement ? 

C’est tout simplement l’ensemble des pratiques mises en place par une entreprise dans le but de respecter les principes de développement durable : des mugs en céramiques made in France aux politiques d’inclusion en passant par le choix de son fournisseur d’énergie ou des membres de son comex, les options sont nombreuses.  

Pour rappel, les principes de développement durable, ce sont 17 objectifs à horizon 2030 identifiés durant la COP15 au travers des Accords de Paris, qui ont pour objectif d’éradiquer la pauvreté, de protéger la planète, et de garantir la prospérité pour tous.

On observe donc un avant et un après 2015, avec les Accords de Paris qui redistribuent les cartes du jeu.

Mais les penseurs n’ont pas attendu 2015 pour s’emparer du sujet 

“Notre devise, comme tout le monde le sait, est de vivre en conformité avec la nature” (Sénèque, Lettres à Lucilius, 5). Quatre siècles avant JC, le philosophe mettait déjà l’accent sur l’importance pour l’Homme de vivre en adéquation avec la nature. Il invitait ses contemporains à l’étudier, car apprendre à mieux la connaître permettrait l’éclosion d’une relation féconde entre l’Homme et le reste du vivant, et de tendre ainsi vers une vie vertueuse. Or, selon Sénèque, vivre de vertue permettrait de se rapprocher du bonheur, but plus ou moins universel de l’humanité, toutes époques confondues.

Léger bond dans le futur, nous voici au IIème siècle après JC, en compagnie de Marc-Aurèle : “Rien n’est mal qui est selon la nature.” (Pensées pour moi-même). La nature est ici érigée en cap guidant les actions vers le bien. Dans ses méditations, l’empereur-philosophe-stoïcien souligne l’importance de la responsabilité personnelle, et notamment de la prise conscience de l’impact des actions individuelles sur l’ensemble de l’humanité. Le propos du stoïcien sera complété des siècles plus tard par Hans Jonas (XXè), qui développera le principe de responsabilité éthique, soit la reconnaissance de l’impact de nos actions présentes sur l’environnement et les générations futures.

Entre-temps, au XVIIe, Colbert lance un vaste plan de reboisement des forêts, déjà bien conscient de leur rôle crucial dans l’économie locale (en revanche, pas encore de leur rôle climatique, il n’était pas visionnaire à ce point). Salutations cordiales au gouvernement Borne qui s’essaye actuellement au même exercice. 

On remarque donc que, bien qu’elles n’étaient pas encore formalisées telles quelles, ces préoccupations RSE étaient déjà présentes dans l’inconscient collectif. Notamment pour une raison commune à toutes sociétés, quelle que soit leur époque : ces enjeux correctement adressés permettent d’assurer la stabilité du pacte social. Alors que tout désastre social ou environnemental (bafouement des droits humains dans les usines de production, famine, tremblements de terre, etc.) sont de réels risques pour les stabilités nationales, voire internationales. 

Vingt siècles pour être couchée sur le papier

Puis, en 1953, l’économiste américain Howard Bowen formalise (enfin) le concept, en publiant  « La responsabilité sociale du businessman », un ouvrage qui explique pourquoi les entreprises ont tout intérêt à être “plus responsables”. Bowen identifie déjà la RSE comme “une discipline transversale du management”, soulignant que dirigeants et managers doivent orienter leurs efforts vers le bien commun. Selon Bowen, l’entreprise a tout intérêt à reconnaître et assumer son rôle moral au sein de la société  car elle prospère mieux dans un environnement stable et éthique (maintien de sa légitimité, réduction des risques sociaux, stabilité sociale, etc.).

Parmi les nombreuses théories et applications résultant de ce constat, on retiendra celle de Cattel-Horn-Carroll, qui définit la RSE comme : « la tentative des entreprises de répondre aux exigences économiques, juridiques, éthiques et philanthropiques d’une société donnée à un moment donné ». Défendant une approche plus large de la RSE, la théorie CHC identifie quatre niveaux de responsabilités : économique, la société demande aux entreprises d’être profitables ; légale, la société exige que les entreprises respectent la loi ; éthique, la société attend des entreprises qu’elles soient morales ; philanthropique, la société désire que les entreprises fassent du bien à la communauté.

Suivis par 60 ans de réflexions et d’engagements

S’enchaînent en parallèle de nombreuses autres théories, rythmées par des moments économiques marquants : les Trente Glorieuses, la mondialisation, les chocs pétroliers, la crise de 2008. Honnêtement, Netflix n’aurait pas mieux fait. En cinquante ans, le monde s’est transformé, faisant évoluer les règles du jeu : d’une économie industrielle et locale, nous sommes passés à un système globalisé, une production délocalisée et lointaine, une concurrence bien plus intense et inégale, ainsi que de nouvelles routes d’échanges et leurs résultantes en carbone. 

Et c’est dans ce contexte que Ji-John Elkington popularise le concept de Triple Bottom Line en 1994, défendant une approche qui dépasse le traditionnel bilan financier (bottom line), et qui plaide pour y introduire les aspects sociaux et environnementaux, clés dans l’évaluation de la performance d’une entreprise. Qu’Edward Freeman a développé sa théorie des parties prenantes, qui souligne l’importance de prendre en compte l’ensemble de leurs intérêts pour assurer la pérennité de son entreprise. Ou encore que Michael Porter et Mark Kramer ont proposé le concept de « Creating Shared Value«  (Création de Valeur Partagée), qui explique qu’aligner les activités commerciales de son entreprise sur des objectifs sociaux permet de créer de la valeur de manière durable.

Toutes ces théories ont impulsé de grandes tendances, aussi bien économiques que sociétales, appelant alors à une nouvelle régulation. Mais sans aller jusqu’à s’aventurer sur le terrain législatif, les pouvoirs publics comme privés se mettent d’accord sur une multitude de traités et d’accords : 1976, les principes directeurs de l’OCDE, une sorte de “guide de bonne conduite sociale et environnementale” pour les multinationales ; 1992, sommet de Rio durant lequel 100 états identifient 27 principes directeurs communs, et le protocole de Kyoto vient affirmer la volonté globale de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; 2000, le pacte mondial des Nations Unies voit le jour, et offre à ses adhérents un cadre d’engagement volontaire ; 2001, la loi “Nouvelles Régulations Économiques” incite les sociétés cotées à intégrer les conséquences sociales et environnementales de leur activité dans leur rapport annuel ; 2007 et 2010, les lois Grenelle I et II précisent et étendent les obligations de reporting extra-financier (issues de la NRE) pour les entreprises cotées, avec l’instauration d’une obligation de faire vérifier ces données ; 2010, la norme ISO 26 000, portée par l’Organisation Mondiale de Normalisation, établit les grandes lignes de la RSE à échelle internationale ; 2015, les Accords de Paris ; 2017, loi sur le devoir de vigilance, qui oblige les sociétés mères et entreprises de grandes tailles à rendre public leurs fournisseurs et partenaires ; 2019, la loi PACTE, qui invite les entreprises à modifier leur objet social et à se doter d’une raison d’être.

Prochaine étape : passer de l’incitation à l’obligation

Comme on peut le voir, la RSE a toujours été présente dans nos sociétés. Et pour une raison assez universelle : sans stabilité sociale, économique et environnementale, les équilibres vacillent. Jamais autant de textes n’ont été publiés en si peu de temps. Peut-être parce que cet équilibre est plus que jamais menacé actuellement ? 

Si ces textes sont nombreux, ils ne sont pour autant pas bien contraignants. Une grande majorité, voire la totalité, d’entre eux sont de simples incitations ou recommandations. Rien ne force réellement les entreprises à sauter le pas.

Mais la messe n’est pas dite : en 2024, de nombreuses entreprises européennes auront l’obligation de publier un rapport extra-financier (CSRD), qui se veut plus exigeant. Ce document vient ainsi remplacer le reporting RSE (DPEF) et permet de clarifier, cadrer, et uniformiser tout ce schmilblick.  

Alors que la DPEF ne concernait que les grandes entreprises de plus de 500 salariés, la CSRD concerne toutes les entreprises qui réunissent deux des trois conditions suivantes : voir plus de 250 salariés ; avoir un bilan supérieur à 20 millions d’euros ; avoir un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros.

Et espérer percevoir de premiers fruits ?

Ce n’est pas encore parfait, mais les entreprises se mettent en mouvement. Par intérêt pour certaines, par besoin de remplir leur rôle pour d’autres, par convictions pour les dernières. Les échéances sont de plus en plus restreintes. Au niveau environnemental, mais aussi sociétal, et donc de gouvernance. Il n’y a pas une entreprise ou ces sujets ne sont pas évoqués, ce qui a déclenché une récente accélération des engagements. À voir à quoi ressembleront donc les 15 prochaines années. To be continued ?

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