Aller au contenu

Notre bibliothèque

Des savoir-être pour savoir être

Des savoir-être pour savoir être_Rose Ollivier_The Boson Project

« Soft skills ».
Elles sont désormais les compétences les plus recherchées dans le monde.
Tour à tour traduites comme compétences souples ou comportementales, intelligence émotionnelle ou savoir-être… Les tentatives pour traduire cette notion sont au moins aussi multiples que ses définitions. Comme l’écrit Jean-Yves Prax, « une ambiguïté plane sur la nature même du savoir-être ». Est-il un potentiel qui sommeille en chacun de nous ou un comportement réel du quotidien, à portée d’agir pour tous ? Ressource personnelle ou performance observable ? Inné ou acquis ?

Au gré de nos enquêtes et missions menées au sein d’entreprises, nous (les Bosons) avons été surpris par le nombre de responsables RH et de managers qui nous ont répondu que le savoir-être s’apprenait peu et qu’il était d’ailleurs bien souvent un filtre de sélection pour les recrutements. Comme s’il n’y avait que le « hard » qui pouvait s’acquérir. Nous avons opté pour une définition plus existentialiste du savoir-être. Plus qu’un atout de naissance, nous sommes convaincus qu’il est une compétence « qui s’apprend et qui s’entraîne », que l’on aurait choisi de développer et de cultiver, et qui dirait quelque chose du travailleur que l’on souhaite être. « L’homme est à inventer chaque jour », disait Sartre. Il aurait pu aussi bien dire que l’art des softs skills est un existentialisme. On comprend donc le potentiel identitaire et narratif des soft skills, aussi bien sur le plan individuel, pour construire sa propre épopée professionnelle, que collectif, quand il s’agit de créer les conditions organisationnelles pour faire vivre une culture d’entreprise. On ne choisit pas de développer une compétence comportementale parce qu’elle est à la mode, comme on l’a trop vu dans certaines organisations, mais parce qu’elle a du sens pour nous. Ainsi, derrière les comportements individuels et collectifs que l’on favorise, se niche une façon d’œuvrer ensemble : les savoir-être que l’on choisit d’entretenir sont une discipline qui dit quelque chose de nous – que ce nous soit un travailleur individuel ou une entreprise collective – de notre humanité, de notre singularité.

C’est tout le propos de cet ouvrage : les soft skills forgent « une identité inédite et prometteuse », elles sont patrimoine humain et création de valeur. En cela, elles sont bien « toutes les compétences qu’un robot ne peut pas endosser ». À l’heure où l’industrie 4.0 et son lot de robotisation des tâches questionnent la place et la contribution de l’Homme au travail, ces compétences sont une ancre sur l’utilité et l’irremplaçabilité humaine dans une économie de plus en plus technologique. Elles sont une certaine forme de vie, le supplément d’âme au travail. C’est justement parce qu’elles disent quelque chose de notre humanité que les soft skills ne peuvent être juste une pratique (ou science ou discipline) à même de forger une singularité : elles sont aussi une éthique. Du grec ethos qui signifie « mœurs », cet ensemble de valeurs et de principes permet de « différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, l’acceptable de l’inacceptable » ; une boussole bienvenue tant les dérives sont fréquentes en entreprise lorsqu’il est question de compétences comportementales au travail. Il est d’ailleurs intéressant de voir à quel point nous sommes loin de cette approche éthique globale des soft skills en jetant un œil aux référentiels formalisés en la matière. L’Iowa Essential Concept and Skills ou encore le Connecticut Department of Education positionnent par exemple « l’éthique » au même niveau que « la productivité », « la flexibilité » ou encore « la capacité à gérer les nombres », comme un savoir-être parmi d’autres. Je crois au contraire que l’éthique doit être un cadre à l’ensemble de toutes ces compétences dites souples.

Ce code des soft skills est donc un outil (très) pratique à mettre entre les mains d’un public de professionnels avisés et soucieux de consolider une culture d’entreprise. Un public en questionnement, qui interroge le sens et les conséquences humaines des facultés que l’on choisit de développer. Alors que se multiplient les démissions et le désengagement et que les taux de satisfaction au travail sont en baisse depuis des années dans l’hexagone, l’époque semble nous inviter à nous interroger sur la finalité du travail, sur son utilité et sur la déontologie des pratiques métier. Aussi silencieusement que les quiet quitting qui fleurissent dans les organisations, les Français réinventent petit à petit le contrat et les engagements qui les lient à leur activité professionnelle. Sur le chemin de leurs questionnements, sur ce à quoi ils voudront contribuer demain par le travail, ils ouvriront peut-être aussi la voie à de nouveaux savoir-être pour œuvrer autrement au monde, probablement plus alignés avec des enjeux de sobriété et d’authenticité dont le manque se fait tant sentir dans nos sociétés et dans nos économies.

De nouveaux savoir-être pour mieux savoir être au monde et aux autres.


Préface de Rose Ollivier l’ouvrage « Soft Skills. Développer ses compétences comportementales, un enjeu pour sa carrière » de Julien BouretJérôme HOARAU et Fabrice Mauléon édition DUNOD. À découvrir ici

Références

Prax J.-Y. (dir.), « Knowledge management et développement des compétences », Manuel de knowledge management. Mettre en réseau les hommes et les savoirs pour créer de la valeur, chap. 9, Dunod, 2019. 2.

Sartre J.-P., Situations, II. Septembre 1944-décembre 1946, Gallimard, 2012.

3. Bouret J., Hoarau J., Mauléon, Soft Skills, Dunod, 2018.

Pour poursuivre votre lecture sur la même thématique :