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Houellebecq peut-il nous aider à réinventer notre rapport au travail ?

Belleville Talks #2 : Un débat avec Pierre Hurstel et Vincent Meyer animé par Apolline Dumont

Auteur de littérature contemporaine, Michel Houellebecq construit une vision panoramique du travail. Il y aborde de nombreux milieux professionnels : l’informatique, la recherche, le tourisme, le showbiz, l’artistique, l’universitaire, ou encore l’agriculture…
Ce panorama du monde de l’entreprise et du travailleur place Houellebecq comme un fin observateur des entreprises.

Michel Houellebecq peut-il nous aider à réinventer notre rapport au travail ?

Dans quelle mesure le consumérisme s’applique-t-il au monde du travail ?

Michel Houellebecq dévoile les travers de nos sociétés et en particulier du consumérisme.

Il décrit notamment un monde du salariat liquide en faisant référence à la société liquide de Zygmunt Bauman. Une société où les conditions dans lesquelles ses membres agissent changent en moins de temps qu’il n’en faut aux modes d’actions pour se figer en habitudes et en routines. Tout devient liquide, il n’y a plus d’institution fixe, le changement et les transformations sont continus.

Le « salariat liquide » se définit sur trois piliers :

  • Une accélération du temps au travail et une objectivation accrue de la performance se traduisant par une certaine taylorisation du travail.
  • Un rapport consumériste au travail : le travail est un bien de consommation pour le salarié et inversement les entreprises consomment le temps et l’engagement des salariés, leurs performances, leurs compétences.
  • Un appauvrissement de la qualité des relations humaines au travail au travers d’un langage d’indicateurs et d’une marchandisation des rapports au travail. 

Dans cette société liquide, Houellebecq dépeint une notion de temps qui disparaît tant il est accéléré et où le geste se perd par la digitalisation des tâches et l’avènement du secteur tertiaire. Le travail se dématérialise, le temps se dissout dans une course folle. 

C’est pourquoi cette société liquide met à profit les compétences – et en particulier celles d’adaptation – plus que les qualifications techniques qui deviennent obsolètes en un claquement de doigts. 

À travers la vision consumériste appliquée au travail, Houellebecq pose la question de notre rapport au travail. Entre société liquide et société solide, n’y a-t-il pas une nuance où le geste, les compétences et les qualifications ont une place équivalente ? 

Le retour à l’artisanat est-il une solution viable pour le futur de l’entreprise ?

L’artisanat c’est revenir à l’essence du travail pour Houellebecq : l’individu est responsable d’une tâche du début à la fin, la conception et l’exécution ne sont jamais séparées, la tête et la main sont réconciliées.

Le modèle artisanal repense d’ailleurs le travail autour d’une matérialité. Houellebecq y défend une idée de progrès lent, plus qualitatif et offre de multiples perspectives pour réinventer le monde du travail à travers le modèle de l’artisanat. 

L’acteur principal de ce modèle artisanal, l’individu – artisan possède alors trois intelligences 

  • L’intelligence du geste, cette capacité à “sentir la chose du bout du doigt”, comme le dit Simone Weil 
  • L’intelligence de la relation au client
  • L’intelligence de l’équilibre financier, grâce à l’appréhension de la chaîne de valeur dans son ensemble 

Le concret, la connexion avec le faire, la matérialité et la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de production sont des pistes de réflexion pour redonner du goût au travail.   

Il est intéressant de noter d’ailleurs le retour en grâce du modèle artisan dans les aspirations professionnelles des Français. Selon une étude de l’institut des métiers de 2014, le nombre de créateurs d’entreprises artisanales issus de l’enseignement supérieur a augmenté́ de presque 50% entre 2009 et 2013. En 2016, un tiers des entrepreneurs étaient des artisans et on comptait 150 000 apprentis dans l’artisanat en 2020. En 2021 encore, les métiers manuels et de l’artisanat arrivent en tête des professions vers lesquelles les cadres souhaitent se reconvertir (46% des répondants d’une étude de Michael Page). Et s’ils ne sont qu’une minorité à franchir le pas, celle-ci s’accroît au fil des années : sur les 130 000 adultes que la chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) a formés pendant l’année 2020. Or, le travail artisanal a de singulier que le travailleur maîtrise l’ensemble de la chaîne de production et qu’il peut choisir ses outils et la manière dont il souhaite les manipuler. Le travail artisan de la main est indissociable de l’intelligence et l’artisan est capable de créativité (Sennett ; 2010). Une souveraineté́ retrouvée sur le travail et la manière de l’exécuter qui font écho aux aspirations d’autonomie des Français.

Le monde de l’entreprise peut être vertueux s’il possède trois qualités :

  • Une recherche de la performance raisonnée. Si désormais les externalités négatives sont mesurées par les organisations, les paramètres oubliés de la transition durable sont humains. L’absence du facteur humain est d’ailleurs décrite par Houellebecq. 

« Il n’y a pas de planète B mais il n’y a pas de people B non plus. » – Pierre Hurstel 

  • Une contestation des rentes et des castes
  • Une nouvelle gouvernance imposée par les investisseurs et actionnaires intégrant les critères sociaux et le facteur humain dans l’entreprise. 

Bien que le modèle de l’entreprise durable et le modèle lent de l’artisanat semblent s’opposer dans les discours, avec d’un côté la performance industrialisée et de l’autre la singularité du geste, la contribution humaine dans nos organisations peut être repensée pour rapprocher ces deux visions.

Découvrez l’ensemble du débat :

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