Dictionnaire Amoureux de l'Entreprise

Dictionnaire Amoureux de l’Entreprise

29 octobre 2021

Emmanuelle Duez

Love at scale : Quand le projet devient entreprise, communauté humaine
Le projet devenu histoire fédère désormais au-delà de son créateur : l’amour “passe à l’échelle”. L’entreprise crée des liens entre les individus, maillage de relations sociales et de fraternités, fruit de rapports d’attraction, d’affinités électives et d’intérêts croisés. Le projet génère des « airs de famille », au sens Wittgensteinien du terme : entre les individus réunis, aucune ressemblance directe ne peut être constatée alors même qu’ils semblent tous apparentés, sans que nous puissions toutefois établir et déterminer l’élément qui crée cette ressemblance. Est-ce le sens donné à l’action ? Un certain goût des autres particulier au projet ? La raison d’être originel de l’acte entrepreneurial ? Ou des considérations plus pragmatiquement matérielles ? Quelle que soit l’essence de cette attraction, ici l’amour change de nature.

Il se distingue d’eros, amour érotique du couple, pour embrasser philia, une des formes données à l’amour par Socrate (1) et Aristote.

La philia, qui se traduit davantage par amitié, désigne une appartenance à une maisonnée. Oikos, maison en grec, a donné… économie, du grec oikonomía. Nous y voilà. Cette maison commune est une entreprise librement créée pour s’entraider et former une polis, communauté d’intérêts poursuivant les mêmes biens. Si l’on considère l’entreprise comme un microcosme sociétal, une mini-société, organisation au sein de laquelle des individus adultes font société ensemble ; alors on peut oser affirmer que cette petite oikonomía « n’a pas pour fin un avantage présent, mais ce qui est utile à la vie tout entière » (2).

En ce sens, on pourrait dire que la philia au cœur du projet est de celle qui fait la différence entre un simple agrégat d’individus (un vol de grues, dit Aristote) et une véritable polis, une communauté de personnes unie dans la recherche d’un manque, dans le tâtonnement vers ce qui n’existe pas encore, dans la réalisation du projet qui n’est que l’expression d’une insuffisance.