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L’économie de la vie & la vie dans l’économie

C’est ce que l’on appelle trivialement la symétrie des attentions. Être beau dedans pour que ça se voit dehors, forcer l’alignement entre promesse collaborateurs et promesse clients, entre le business model et le modèle social et, par le biais de ce sens décliné sur le terrain, assurer une performance durable. L’époque est ainsi moins à l’engagement fanfaron, additionnel, superficiel, qu’à l’alignement sobre et sincère.

Faire pivoter les organisations pour adapter leur modèle, réinventer les chaînes de valeur, flécher les investissements vers les secteurs de « l’économie de la vie  » comme les appelle Jacques Attali sont des enjeux majeurs pour faire face aux défis actuels, sanitaire, écologique, économique et social. Mais ces efforts seront vains s’ils ne sont pas associés à une énergie toute aussi conséquente mise au service de la vie dans l’économie, c’est à dire le travail. Il est urgent de se poser, au cœur de la crise et précisément parce que cette crise remet les pendules à l’heure, sur la question de l’excellence humaine, manière de faire et fin en soi.

Le contexte actuel, inédit, interpelle nos pratiques et nos repères. Pourquoi ceux qui protègent nos corps et nos esprits, au cœur des hôpitaux ou sur les théâtres d’opération, sont-ils si peu reconnus, économiquement et humainement ? Qu’est-ce que ça dit de nos sociétés, et de moi qui ne suis ni l’un ni l’autre ? Qu’est ce qui me donne envie de vraiment m’engager, tout esseulé que je suis devant mon ordinateur, sans manager pour m’observer ? Faut-il toujours sauver une boite qui se meure, et si oui pourquoi ? À la faveur de la crise exceptionnelle que nous traversons, ces questions se posent, dérangeantes, profondes. Elles drainent toutes de dangereux écueils mais ont le mérite d’interpeller les fondamentaux. Alors que tout part à vau-l’eau, qu’est ce qui compte vraiment ? Pour nous autres, humbles tailleurs de pierre d’un monde financiarisé en manque d’authenticité, la question se pose et s’impose.

L’époque est moins à l’engagement fanfaron, additionnel, superficiel, qu’à l’alignement sobre et sincère

Il serait dramatique de rater cette crise en ne faisant pas évoluer en profondeur les modes de fonctionnement, les modèles de managementla raison d’être des organisations et donc la raison de travailler et de (re)venir des collaborateurs. C’est ce que l’on appelle trivialement « la symétrie des attentions ». Être beau dedans pour que ça se voit dehors, forcer l’alignement entre promesse collaborateurs et promesse clients, entre le business model et le modèle social, considérer ses salariés comme les premiers clients de l’organisation et, par le biais de ce sens décliné sur le terrain, assurer une performance durable. L’époque est ainsi moins à l’engagement fanfaron, additionnel, superficiel, qu’à l’alignement sobre et sincère.

Si façonner le monde de demain et en prendre soin est la vocation des organisations, et derrière elles des collaborateurs, comment imaginer que ces derniers puissent être prolifiques dans la durée si personne ne prend soin d’eux en interne ? Aurons-nous, dans ces organisations publiques et privées, l’audace d’une symétrie du soin ? Et enfin quels sont les ingrédients concrets de ce soin appelé des vœux de tous : salariés, fonctionnaires, managers ?

J’oserais ici en esquisser trois : le sens, ou l’utilité dans un système ; l’autre, ou l’épopée collective ; et enfin les traces, les repères, que nous devrions tous avoir le droit de laisser quelque part.

Le sens. Pour les secteurs reconnus d’utilité publique, l’école, le soin, le lien social, l’armée, nous avons coutume de penser que la question de leur utilité au monde ne se pose pas. Comme les bâtisseurs de cathédrale d’antan, ils ont une raison d’être et d’avancer qui les dépasse. Mais nous confondrions ici le sens et l’utilité. Être utile ne donne pas forcément du sens au quotidien, alors que les moyens manquent, que l’inertie est démentielle, que le statutaire plombe les rapports humains, que l’innovation ou le pas de côté est impossible, que la reconnaissance est absente de la culture. Il ne faudrait pas « magnifier » des pans entiers de l’économie, nous étant rappelés massivement et collectivement à la faveur des évènements qu’on a besoin d’eux ; sans opérer en leurs seins les transformations profondes nécessaires. L’utilité au monde peut être dévorée, anéantie par un quotidien dépourvu de sens. Il est urgent d’investir dans l’excellence humaine.

L’Autre. Le confinement est une occasion exceptionnelle de nous poser des questions inédites. Qu’est-ce qui nous manque vraiment, à nous travailleurs français, alors que les bureaux, les usines, le travail parfois même nous est interdit ? L’Autre. Le collègue, l’équipier, l’ami, ceux avec qui on partage aussi notre vie sont ce qui nous a le plus manqué. Les essentiels remontent à la surface et voici que reviennent au cœur de l’engagement l’épopée collective, la communauté humaine, l’idéal de fraternité, cette solidarité spécifique à ceux qui croient aux mêmes valeurs et s’engagent dans un même combat. Il est urgent d’investir dans un management de la fraternité, de la cohésion, de la réconciliation. Si c’est l’autre qui met en mouvement et nourrit l’engagement et la performance durable, alors investissons sur la vie dans l’économie.

Le travail retrouve sa place dans la vie : essentiel, et la vie retrouve sa place dans le travail : naturelle

Les traces. Dans le monde d’hier, assumer qu’au travail on vit, tout entier, avec ses émotions, ses problèmes, ses envies, c’était, disons-le-nous clairement, un peu malaisant managérialement parlant. Restez corporate, gardez votre masque (au sens figuré) et cachez ces enfants ou ces problèmes de couple que je ne saurai voir. C’est peut-être pour cela que les bureaux, dont on prédit la disparition, étaient devenus si aseptisés, flex et open, sans photos et sans repères, sans trace humaine, lieu de passage de travailleurs qui retiendraient leur souffle et leur vie pour ailleurs. Dans le monde d’avant, sans s’en apercevoir, petit à petit, une photo après l’autre, on a déshumanisé le travail et les lieux de travail. Avec la crise, avec le rapport à l’espace/temps qui se modifie, revient la vie derrière l’écran. Les enfants turbulents, le chien, les peines de cœur, la solitude aussi. Le travail retrouve sa place dans la vie : essentiel, et la vie retrouve sa place dans le travail : naturelle. Il est urgent d’investir dans des lieux de travail qui redeviennent des lieux de vie.

À la croisée de ces enjeux, le manager retrouve la quintessence de sa mission, faire grandir les Hommes et les âmes, en individuel et en collectif : excellence managériale, transmission du sens, reconnaissance immatérielle, transparence de l’information, équité des règles du jeu, équilibre des vies, utilité au travail, justesse de l’évaluation. L’entreprise redevient communauté humaine, d’abord et avant tout. C’est par la qualité de la vie au travail que l’on génère un travail de qualité. C’est par l’excellence humaine que l’on assure une performance durable. Il n’y aura pas d’autre manière de remettre la machine en marche. Ainsi, résolument, nous aurons réussi cette crise.
La crise nous rappelle finalement à nos fondamentaux : prendre soin des Hommes pour qu’ils prennent soin à leur tour de nos entreprises, arroser d’attention pour cultiver l’engagement, et choisir nos combats pour préparer l’avenir.

Tribune publiée dans Usbek & Rica

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