Diriger un cabinet de conseil, d’audit ou une ESN : Tendances et Défis 2024
Tantôt “structure d’utilité publique”, tantôt “temple du bullshit”, plus pers...
février 2024
Tout secteur
« Cette crise nous a permis de mesurer la souplesse, l’agilité et la capacité d’adaptation de nos collaborateurs. »
À l’heure où les entreprises naviguent à vue, où le monde économique se projette avec difficulté sur ce qui forgera la société de demain, nous sommes partis à la rencontre de ceux dont on parle beaucoup mais qu’on entend peu : les dirigeants des PME et ETI qui sont les poumons du tissu économique et social français. Comment ont-ils géré la crise ? Qu’est-ce que ce contexte si singulier a mis en exergue de positif au sein de leur organisation ? Comment ont-ils dirigé leurs équipes ? Qu’est-ce que l’art de diriger en eaux troubles ?
La crise du COVID-19 a touché de manière disparate les entreprises selon leur secteur et leur modèle économique. Pour ce deuxième épisode, nous avons échangé avec un acteur souvent méconnu : le bailleur social. Les bailleurs sociaux exercent, en lien avec les collectivités territoriales, des missions d’intérêt général au coeur des politiques publiques du logement, de l’aménagement du territoire et de la lutte contre la précarité. La mission du bailleur social est donc par nature riche de sens. Edouard Duroyon, directeur général de la SAHLM de l’Oise, nous raconte comment, à la faveur de cette situation inédite, l’entreprise a pu s’investir pleinement dans sa mission sociale.
En temps normal, les bailleurs sociaux jouent un rôle majeur dans l’accessibilité au logement pour tous. Dans une période où la question de l’habitat a été plus que jamais au coeur des enjeux sociétaux, la SAHLM de l’Oise a su s’appuyer sur sa relation de proximité avec les habitants pour renforcer son action au delà du logement.
« Si l’on part du constat que notre modèle économique est particulièrement stable, l’enjeu était surtout de mettre notre résilience au service d’autres personnes plus fragilisées. »
La SAHLM de l’Oise, de par la robustesse de son modèle économique avec des revenus reposant sur des loyers payés en partie solvabilisés par l’APL, a peu été affectée par les premiers effets économiques de la crise. La réflexion d’Edouard Duroyon et du comité de coordination fut donc de capitaliser sur cette période singulière pour être utile, et faire résonner plus fort encore le rôle contracyclique de l’entreprise auprès de son écosystème.
« Nous avons clairement fait le choix de la performance sociale sans nous interroger sur notre performance économique. »
Pour « être un point de repère, de stabilité pour les habitants, les commerçants, les élus et l’ensemble de nos parties prenantes sur notre territoire. » La SAHLM de l’Oise a ainsi privilégié une logique de continuité de l’activité salariale plutôt que de recourir à une réduction des charges via le dispositif de chômage partiel. Les salariés dont l’activité était réduite ont été encouragés à réaliser un suivi téléphonique auprès des locataires les plus fragiles, et notamment des seniors. La gestion des loyers impayés a également été repensée pour l’occasion : « Un loyer impayé c’est avant tout un signal d’alerte sociale. Nous avons demandé à nos équipes de contacter les personnes en situation d’impayés et de trouver des solutions avec elles. Notre objectif était de ne surtout pas aggraver leurs difficultés. »
Cette période a ainsi permis de renforcer le sens et le rôle de l’organisation et elle a, par la même occasion, été une opportunité de réinventer les modes de travail. Avec un quotidien professionnel complètement bousculé, des barrières sont tombées, de nombreux process ont été adaptés.
« On a arrêté de se focaliser sur les indicateurs traditionnels. Nous avons également libéré les fiches de postes.»
Ainsi, les circonstances inédites et la baisse d’activité du quotidien ont eu raison de certaines lourdeurs organisationnelles qui, à l’éclairage de cette période, montraient leurs limites.
Souvent dans les organisations « à utilité sociale », les situations d’exception et les crises poussent les acteurs/collaborateurs à replacer la mission au coeur des modes de fonctionnement, faisant fi des dysfonctionnements bureaucratiques et cassant les silos. L’adaptation des hôpitaux pendant la crise en est la parfaite illustration.
Si la période de confinement a fait advenir par nécessité une réforme des modes de travail, elle a également été un réel test pour les dirigeants.
« De la même manière que la SAHLM de l’Oise est apparue comme un socle de continuité pour son écosystème, il fallait que nous incarnions – en tant que leaders – la stabilité dans un environnement instable. Il fallait que nous nous demandions comment nous pouvions être utiles aux équipes. »
Ainsi à situation d’exception, gouvernance d’exception : l’équipe de la SAHLM de l’Oise a repensé sa manière de diriger :
L’expertise avant le statut (dans la Marine nationale, on emploierait l’expression de “la fonction primant sur le grade”) : « En fonction du besoin, c’est celui qui a la compétence qui prend la décision. Dans ce contexte instable, nous avons mis en place un leadership tournant. Mon propre rôle fut davantage d’organiser la discussion en me portant en garant du projet d’entreprise. »
Des leaders au cœur des équipes : « La distance a bizarrement mis tout le monde au même niveau et les leaders se sont davantage intégrés à leurs équipes. Cela a demandé plus de travail, plus d’implication, mais ça a créé beaucoup de fierté et ça nous a permis de passer la crise. »
Le lien comme impératif : « Ma mission a été de maintenir le lien avec tout le monde, même ceux qui étaient les plus éloignés : 2 à 3 jours de présence sur le terrain pour les managers et directeurs, des messages vidéos pour les moments clés, des newsletters ‘Gardons le lien’ envoyées à tous sur les boites perso, etc. »
« Cette crise nous a permis d’aller plus loin dans ce que nous avions amorcé dans notre précédent projet d’entreprise. L’importance de la relation client, la noblesse de notre mission… Les collaborateurs ont pu l’expérimenter et en comprendre l’intérêt. »
La crise, cette loupe grossissante, ce filtre révélateur, favorable aux questionnements et à l’introspection, a finalement mis en exergue l’essence, le substrat dépourvu de superflu des organisations. Elle a aussi mis au grand jour les dysfonctionnements, les désengagements, les artifices, la force du collectif, le rôle majeur d’une excellence managériale. Cas de force majeure, elle a contraint à innover, à s’adapter, à inventer et représente en ce sens une formidable opportunité de réinvention. « Cette crise nous a permis de mesurer la souplesse, l’agilité et la capacité d’adaptation de nos collaborateurs. » Reste à passer le cap du coup d’essai : comment ancrer sur le temps les bonnes pratiques mises en place ? « Il faudrait que nous arrivions à conserver ces bonnes initiatives en « temps normal », notamment cette organisation plus fluide que nous avons eue. »
Ainsi, le défi pour la SAHLM de l’Oise sera de pérenniser ces transformations induites une fois l’urgence de la crise passée.
Et de conclure : « Notre activité a pour caractéristique de ne pas susciter habituellement de sentiment d’urgence. Cette absence de mise en situation d’inconfort ne nous incite pas toujours au dépassement de soi, à l’engagement. C’est notre défi : arriver à créer les conditions pour que ces comportements exceptionnels deviennent notre quotidien. »
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