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Le télétravail est vecteur d’injustice sociale

Le rapport des Français à leur travail a-t-il changé depuis la crise du Covid-19 ? C’est cette question cruciale qu’Emmanuelle Duez, fondatrice du cabinet de conseils The Boson Project, souhaite poser à l’occasion d’une enquête appelée « In(tro)spection au travail ».

Zoom sur les premiers enseignements qu’elle voit déjà se dessiner, quelques jours après le lancement de l’enquête.

Quelle est la genèse de l’enquête que vous lancez ?

Nous vivons une période exceptionnelle dans l’histoire de l’entreprise. Il est toutefois impossible de se projeter dans « le monde d’après ».

La crise sanitaire du Covid-19 va vraisemblablement aboutir sur une crise économique, financière et sociale, qui amputera des emplois. Pour l’heure, nous ne pouvons donc pas imaginer le monde de demain.

Ce que nous pouvons toutefois faire, c’est sonder les turpitudes actuelles des travailleurs puis tirer les fils afin d’entrevoir ce qu’ils signifient dans la future refonte de l’entreprise. C’est ce travail analytique que nous avons voulu mener à l’occasion de cette enquête.

Quels premiers résultats entrevoyez-vous ?

Le premier, c’est que le confinement nous a rappelé une évidence : l’autre nous manque. Or, l’entreprise est un lieu où le collectif humain se forme, où l’on crée des relations interpersonnelles, où le lien social est clé dans la performance durable. Cela m’évoque une notion, celle de fraternité. Je pense qu’à l’avenir, les entreprises devront avoir l’audace d’être fraternelles, même si aujourd’hui, ce concept est à des années lumières d’elles.

Si demain, les travailleurs retournent au bureau, ils attendront un renforcement de l’encadrement de qualité et la fin du dogme du manager coach ou du manager agile.

Le plaisir de retrouver l’autre, de faire émerger une forme de fraternité sera vraisemblablement une grande source d’engagement au travail. Il incombera au manager de cultiver cet état d’esprit.

Le confinement a-t-il fait bouger les lignes côté salariés ?

Avec le confinement, les travailleurs ont relié sphères personnelle et professionnelle. J’ai dû mal à croire qu’ils voudront, demain, se scinder de nouveau en deux. Aujourd’hui, l’entreprise est un lieu où l’émotion ne trouve pas sa place : les problèmes personnels des salariés, l’épaisseur de leur vie, met tout le monde mal à l’aise. Il faudra que les modèles évoluent.

Il y a 100 ans, le modèle de l’entreprise était paternaliste : les managers prenaient soin d’un collectif dans toutes ses composantes, y compris familiales. J’anticipe l’émergence d’une forme de néo-paternalisme, où les managers devront prendre en compte les hommes et les femmes d’un point de vue plus individuel.

Pour faciliter le travail à distance de leurs équipes, ils devront se montrer plus empathiques vis-à-vis des modes de gardes des enfants, à l’écoute de l’équilibre du couple

A terme, je pense ainsi qu’il y aura deux typologies d’entreprise : celles avec une fibre humaniste, qui sauront percevoir la modification de la place de l’entreprise dans la vie de leurs salariés, et celles menées par des dirigeants plus cyniques, de l’ancienne garde, qui prôneront un retour « comme avant », avec une approche plus capitalistique.

Quelles ont été les principales préoccupations des dirigeants que vous avez accompagné ces dernières semaines ?

Leur principal enjeu a été ce que l’on appelle dans l’armée « la remontée en puissance ». C’est-à-dire remettre en mouvement leur business dans un contexte fragilisé, avec des équipes à géométrie variable.

La difficulté, c’est que beaucoup de dirigeants ont besoin de se retrouver physiquement avec leurs équipes pour repartir. Or, ils sont coincés entre la volonté de réorganiser des moments collectifs et le fait que rappeler leurs troupes au bureau soit vu comme dangereux.

Ces derniers mois, les dirigeants ont également pris conscience d’une chose : le télétravail est vecteur d’injustice sociale. Les Français n’ont pas tous les mêmes conditions de travail chez eux : certains n’ont pas de bureau, travaillent dans de petits espaces, n’ont aucun accès extérieur… C’est une source d’inquiétude pour les dirigeants puisque jusqu’ici, le bureau de l’entreprise était un lieu de justice sociale.

Propos recueillis par Aurélie Tachot pour focus rh

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