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Point sur le bureau

Il y a quelques jours, Jeanne Dussueil interviewait deux Bosons expertes des espaces de travail, Fleur Cabeli et Anne-Sophie Winiszewski, pour la newsletter Anywhere de Deskapad. On vous restitue ci-dessous leurs échanges !

La crise sanitaire a éclaté l’espace de travail : quelles conséquences sur le bureau ?

Fleur : Effectivement, pour les populations concernées par le télétravail, on est aujourd’hui capable de travailler depuis n’importe quel lieu.

Ce qui a changé fondamentalement c’est qu’avant, le bureau était le lieu de référence du travail, le lieu de référence pour effectuer son travail, c’était circonscrit. On avait un rythme et une ambiance de travail partagée et on se synchronisait grâce à des rencontres physiques. 

La crise a eu pour effet d’éclater à la fois notre unité d’espace qui nous rassemblait et elle a aussi bouleversé l’unité de temps, quand on se rencontre. Depuis l’année dernière on entend parler de l’asynchrone, le fait de rompre avec des journées de travail à heures fixes.

Aujourd’hui, on teste une nouvelle réalité plus flexible, où notre espace de travail est à la fois numérique et physique et où le rythme de travail a aussi évolué. Ce fameux modèle hybride dont on parle tant et qui demande d’être tout terrain.

Donc, nous avons à la fois des espaces éclatés et un rythme qui a évolué. 

Et ce dont on a encore du mal à se rendre compte, c’est que nos entreprises se sont virtualisées. La collaboration et nos relations passent désormais en majorité par le filtre d’une interface numérique (emails / Slack / Teams, etc). 

Donc la question qui arrive est : Comment est-ce qu’on jongle avec les rythmes de chacun et les impératifs collectifs ? Comment on travaille ensemble demain avec cette nouvelle donne ? 

Anne-Sophie : Pour en revenir à la question du bureau, le bureau est avant tout un lieu où l’on vient chercher des interactions véritables. C’est un peu le lieu qui rend vivante l’expérience de l’entreprise et qui permet de souder des collectifs aujourd’hui éclatés.

Donc le bureau doit avoir plusieurs caractéristiques : 

  • Il doit avant tout être utile : dans ces aménagements avec une modularité des espaces pour s’adapter, dans les services qu’il procure et qu’on ne peut avoir chez soi ;
  • Il doit aussi permettre à chacun de laisser une trace : on en revient de la standardisation à l’extrême, aujourd’hui on veut un lieu qui donne une certaine idée de l’attention aux salariés ;
  • Il doit permettre une forme d’inclusion : car les collectifs sont fragilisés à distance, on doit pouvoir penser une expérience en physique. 

En clair, le bureau est le lieu qui traduit le projet d’entreprise.

Pour une entreprise qui souhaite passer de l’observation à l’action pour redéfinir son modèle de bureau : comment faut-il procéder ? Quelles sont les questions à se poser ?

Anne-Sophie : Pour nous, le premier piège dans lequel il ne faut pas tomber est de penser qu’il y a un seul modèle : on ne croit pas au one size fits all. Il appartient à toutes les entreprises d’inventer leur futur modèle de bureau et une politique immobilière qui portent leurs couleurs, qui assument leur singularité. 

Les projets immobiliers n’en sont jamais en réalité : ce sont toujours des projets humains qui se cachent derrière.

L’enjeu du moment est surtout de retrouver une forme de stabilité et de dialogue avec des équipes fragilisées. 

En pratique, on passe par 3 grandes étapes, en partant de l’essentiel : 

1/ On fait le retour d’expérience et un état de l’existant avec les équipes pour embarquer et donner un tableau de bord juste de l’existant 

  • La culture de l’entreprise et ce qui fait son âme : par exemple, être un acteur de la proximité comme Carrefour ou Too Good To Go, qu’est-ce que cela veut dire de nous et de nos modes de collaboration ?
  • Les modes de travail et spécificités des différents métiers : ce qui marche / ce qui ne marche pas / comprendre les usages réels des espaces, les interactions entre équipes, les typologies d’usagers…
  • Les attentes des équipes sur les nouvelles données de l’entreprises : flexibilité / autonomie / liberté 

2/ On croise ensuite ces enseignements avec une des inspirations externes : 

  • Que font les entreprises en avance de phase sur ces sujets ? 
  • Quelles sont leurs bonnes pratiques et qu’est ce qui nous correspond ou ne nous correspond pas ? 

3/ Ces éléments permettent d’arbitrer sur partis pris forts 

  • Quels sont les impondérables de notre culture d’entreprise et de nos métiers, quels sont les modes de travail qui fonctionnent pour mon entreprise ? 
  • Quelles sont les zones d’expérimentations et les pilotes que nous souhaitons lancer sur des sujets RH, managériaux, digitaux et immobiliers ?

C’est sur cette base que l’on va concevoir des bureaux et tester de nouveaux modes de travail.

Chez Boson, on embarque le corps social en prenant en compte les spécificités et enjeux de chacun, on part des modes de travail pour imaginer les bureaux de demain. 

Quelles sont les grandes tendances qui ont émergé de l’étude réalisée par The Boson Project « Le travail en chantier »* ?

*“Enquête réalisée fin 2020-début 2021 auprès de 23 membres dirigeants de Grands Groupes Français, mandatée par Nexity, Morning et la Banque des Territoires. Ã€ télécharger ici.

Fleur : Il y a un élément intéressant à observer, c’est le timing de l’étude entre deux confinement et donc l’évolution des réflexions avec le temps : 

  • Chez les collaborateurs : ça a commencé par beaucoup d’enthousiasme vis-à-vis du télétravail, puis progressivement ils se sont sentis de plus en plus seuls, surtout les managers et les nouveaux arrivants. A la fin, beaucoup réclamaient de retourner au bureau et les dirigeants ont suivi tout ça avec beaucoup d’attention.
  • Chez les dirigeants et DRH : il y a de gros enjeux à traiter sur le management (Apprendre à manager en hybride), sur la réinvention du contrat social avec le télétravail (Combien de jours de télétravail ? Quelle compensation financière et matérielle ? Etc.) et sur la gestion des RPS au quotidien (comment garantir de bonnes conditions de travail, la santé et le bien-être des collaborateurs à distance)
  • Chez les Directeurs Immobiliers: il y d’abord eu un effet de sidération et de prise de recul avec l’arrêt des prises de décisions (arrêt des chantiers et des projets), puis l’envie de réduire fortement les surfaces de bureaux (en moyenne : passer à â…”, selon les déclarations). Et finalement, quand les collaborateurs ont commencé à vouloir retourner au bureau, les directeurs immobiliers ont réalisé qu’il était impossible de prévoir exactement la surface de bureaux nécessaire, donc certains projets de réduction de surfaces se sont stoppés nets. Les nouvelles priorités des projets immobiliers : rassembler et permettre la collaboration, et offrir une expérience de l’entreprise par des lieux inspirants et démonstrateurs de la culture et des engagements. 

Ce qu’on tire comme leçon est que les entreprises chez qui on trouvait une espèce de normalisation (tout le monde avait le même contrat RH et le même espace de travail) assument de plus en plus leur singularité culturelle, et leurs façons de faire : digital et hybride chez certaines, tout proximité et présentiel chez d’autres. On a une différenciation forte : les entreprises construisent des modèles en assumant leur singularité. 

Vous parlez “d’archipellisation des lieux de travail », qu’est-ce que cela signifie ? Quelles conséquences pour demain ?

Fleur : La dernière grande conséquence de l’enquête, c’est ça : l’archipellisation des lieux de travail. C’est un terme qu’on a un peu inventé, ou en tous cas ressorti de nos vieux livres de géographie. 

Cela veut dire qu’au lieu d’avoir un seul lieu de travail, le bureau, on tend vers un archipel de lieux où il devient possible de travailler (pour les travailleurs qui sont éligibles au télétravail, car on ne le dira jamais assez, mais ça ne concerne bien sûr pas tous les travailleurs en France, loin de là). 

Mais pour les employés de bureau en tous cas on a de nouveaux lieux possibles pour travailler, qui peuvent être : 

  • Chez soi, en télétravail bien sûr. Mais chez soi, c’est loin de suffire comme option, parce que c’est extrêmement inégalitaire : on n’a pas tous les mêmes conditions, or l’entreprise a la responsabilité de garantir de bonnes conditions de travail, et à tous. 
  • D’autres lieux de l’entreprise, pour les entreprises qui ont de nombreux ancrages territoriaux : quand on travaille au siège ça pourrait être très précieux pour certains de pouvoir travailler dans une agence, un magasin, une boutique, un lieu plus proche de chez soi pour éviter les transports : cela implique de les aménager et de les rendre disponibles, mais cela permet beaucoup de rencontres et de synergies. 
  • Les tiers-lieux, c’est-à-dire tous les coworkings, centres d’affaires, cafés coworks, etc. Aujourd’hui la majorité des salariés des grandes entreprises n’ont pas forcément conscience de ces offres, ne savent pas qu’il y a des tiers-lieux près de chez eux, ou alors souvent aussi ils habitent en périphérie et ne disposent pas d’offres proches de leur domicile. C’est justement pour ça que Nexity et la Banque des Territoires ont mandaté cette enquête, pour mesurer ce nouveau besoin qui apparaît.  

Anne-Sophie : Cette enquête nous a montré que les entreprises sont majoritairement en train d’étudier ces différentes solutions, ou projettent de les étudier à moyen terme. 

Et ça a des conséquences sur le bureau évidemment : l’archipellisation ça veut dire qu’on a le choix, donc ça veut dire que le bureau doit devenir plus que jamais attractif, et proposer des choses qu’on ne peut pas faire ailleurs. Cela va être le grand défi pour les directeurs immobiliers, et pour tout le secteur immobilier dans les années à venir.

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