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“Quand tout le monde a aidé à éplucher les pommes, personne ne peut dire que la tarte a une sale tête !”

De la démocratie représentative à la démocratie participative

© Parks and recreation

De la démocratie représentative à la démocratie participative

Notre dernière enquête Allô demain ? Ici la ville!1 réalisée à l’automne 2023 nous a confortés dans l’utilité des ponts à réaliser entre élus locaux et dirigeants d’entreprises. Le lien nous semble particulièrement pertinent en ce qui concerne l’acceptabilité des décisions et l’usage de la démocratie participative2 naturel au sein des collectivités territoriales.

Malgré leur élection au suffrage universel qui leur confère une certaine autorité dans les décisions, les décideurs municipaux sont habitués à aller chercher d’autres leviers d’adhésion pour faire accepter la mise en œuvre de leur programme. C’est précisément l’usage de ces leviers qui nous semble intéressant à explorer pour l’entreprise. 

De l’insuffisance de la démocratie représentative 

Le constat n’est pas nouveau : dans le paysage politique, la confiance envers le modèle démocratique bat de l’aile. Plus précisément, il est question d’une remise en cause de la démocratie représentative – système de délégation de pouvoir des citoyens envers des représentants élus – : le baromètre 2023 du Cevipof est édifiant. En un an, la confiance envers les personnalités politiques a perdu entre 8 et 10 points (en moyenne).3
Que lui reproche-t-on à cette démocratie représentative ? « D’être insuffisamment démocratique et insuffisamment représentative », selon la boutade du doyen Georges Vedel. Et alors que l’échelle communale était jusqu’ici préservée de cette crise de légitimité, le second tour des élections municipales de 2020 signait un taux d’abstention record, à 60 %, contrastant avec une abstention de 38 % lors des élections municipales de 2014.

Dans l’entreprise, la représentation salariale aussi manque de vitalité. On compte moins de deux millions de syndiqués en France contre six millions de membres pour la Confédération syndicale allemande DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund) et la présence d’instances élues tend plutôt à la baisse selon les chiffres de la Dares. Aujourd’hui, le dialogue social tel qu’il est orchestré dans les instances représentatives du personnel peine à convaincre ceux dont il est censé assurer une représentation : 69 % des salariés pensent qu’il n’est pas efficace. 
En parallèle, les symptômes d’un manque de contact entre les dirigeants et leurs corps sociaux se font de plus en plus prégnants. Fin 2023, les dirigeants apparaissaient aux salariés comme des personnalités distantes, aux prises de parole déconnectées du terrain. Un salarié sur deux dépeint cette réalité (+7 points) ; et plus de la moitié jugent que leurs dirigeants ne sont pas à l’écoute (+5 points), manquent d’empathie (+9 points) et ne sont pas assez proches des salariés (+5 points).4
À l’heure d’un désengagement majeur, l’enjeu de l’embarquement salarial est de taille.  

L’époque n’a pourtant jamais autant nécessité de confiance envers ses décideurs

La somme des intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général et il relève de la responsabilité de nos dirigeants d’être garant de ce dernier dans un environnement d’injonctions contradictoires. Nous évoluons dans un triple contexte de crise climatique, de difficultés économiques et de tensions sociales qui exige de nombreux renoncements, parfois largement impopulaires, et pas toujours compatibles avec l’individualisme croissant. 

Ainsi, les participations citoyennes se sont inscrites et entérinées dans les pratiques pour imaginer des politiques qui exigent une certaine part de renoncement, notamment sur les enjeux environnementaux. C’est dans cette lignée que la Ville de Paris a lancé “Les Dialogues Parisiens”, une démarche de consultation inédite sur le bien vivre à Paris réalisée avec l’appui de Make.org. La co-construction se met alors en quête d’acceptabilité sociale.

Les décideurs économiques, aussi, doivent concilier l’inconciliable : la baisse de la productivité avec la remise en question du temps de travail, le juste équilibre entre le besoin de fédérer les équipes et les aspirations de flexibilisation des modes de travail (télétravail, horaires personnalisés…). Des enjeux complexes et contradictoires : en veulent-ils ? En voilà ! 

L’entreprise boudant la participation ?

Des tentatives de lien plus direct entre la direction et les salariés sont bien présentes. Il est vrai par exemple que les baromètres sociaux n’ont jamais autant proliféré. 
Mais la qualité de l’écoute issue d’un tel outil reste limitée : selon la Dares, seulement 17 % des salariés se sentent plus consultés et surtout plus « écoutés ».

Malgré un mouvement de co-construction observé dans les entreprises avec des démarches collectives de raisons d’être ou de vision, la réputation de la co-construction avec les salariés pâtit en réalité de deux obstacles : l’un contextuel, l’autre méthodologique. 

  • D’un côté, la volatilité et l’incertitude du contexte dans lequel évoluent les entreprises n’incitent pas les dirigeants à ouvrir des chantiers qui les engagent sur le temps long vis-à-vis de leurs salariés. Il est plus difficile d’ouvrir la boîte de Pandore de la co-construction quand on n’est pas certain de l’avenir. 
  • De l’autre, certaines expériences déceptives de co-construction ont probablement abîmé son attrait. 

Si nous ne dépasserons pas le premier obstacle — psychologique — dans ce papier, le deuxième peut tout à fait être éclairé de nombreux retours d’expérience, comme celui des élus locaux. Explorons donc les ingrédients d’une co-construction réussie pour nous réconcilier avec ses principaux bénéfices. 

Les ingrédients d’une co-construction réussie : les conseils des élus locaux aux dirigeants

1- Le premier grand enjeu de la co-construction consiste à fixer le cadre.

Après les réécritures gouvernementales des projets de loi de la Convention Citoyenne pour le Climat, la frustration des 120 participants avait été sans appel. Ils le rapportaient à France Bleu en 2021 : « On a produit un travail exceptionnel, demandé par le gouvernement en plus, et au final, on ne prend pas grand chose en compte« , regrettant : « On s’est bien faits pigeonner« . 5 

Fixer le cadre signifie donc communiquer sans ambiguïté sur les acteurs qui disposent du pouvoir décisionnel final, ce qui peut être débattu, mais aussi ce qui ne peut être remis en question. Dans son rapport sur la participation de la fabrique de la ville6, la métropole de Nantes raconte le fonctionnement de ses ateliers de controverses qui affichaient clairement leur ambition : “Explorer les grands sujets de controverse pour repenser la ville de demain et faire l’expérience du débat”. L’objectif n’était pas la soumission de nouveaux projets ou l’aboutissement de nouvelles lois, et c’était explicite. Était ainsi évité l’effet déceptif lié à une mauvaise compréhension de la finalité de ces échanges. 

Il convient ici de rappeler que la participation renvoie à différents niveaux d’implication. C’est ce que formalisait dès les années 1960 la sociologue américaine Sherry Arnstein au travers de son échelle de la co-construction.7 Projetée sur 8 échelons, cette échelle met au jour 3 grands niveaux de participation : 

  • La participation à destinée “éducative” se veut essentiellement pédagogique et manipulative, elle est descendante. Il s’agit ici principalement de mesures de communication : on embarque les salariés ou les citoyens en leur transmettant des informations ;
  • La « coopération symbolique” s’incarne notamment par les outils de consultation et se veut remontante. C’est le cas lorsque l’on réalise par exemple un diagnostic pour éclairer la prise de décision des dirigeants à partir du vécu des salariés ou des citoyens ;
  • Le pouvoir effectif des citoyens, celui du “pouvoir de décision partagé” trouve différentes modalités (le partenariat, la délégation de pouvoir et le contrôle citoyen) et se veut interactive.

Certaines décisions se prêteront tout à fait à la délégation citoyenne. D’autres, au contraire, seront difficilement co-construites avec des citoyens, et nécessiteront beaucoup de pédagogie pour faire accepter leur pertinence. 

Dans le cas du niveau 2, il est préférable de faire participer les citoyens en les consultant sur ce sur quoi ils sont experts, ni plus, ni moins, c’est-à-dire : leur vécu d’habitant ou leur retour d’expérience sur un service ou un outil. Et c’est particulièrement vrai en entreprise sur tout ce qui concerne l’aménagement d’espaces. Nous aimons à dire, quand nous accompagnons par exemple des projets de déménagement de bureaux, que l’important n’est pas de faire choisir la couleur de la moquette — le résultat n’est souvent pas satisfaisant — mais bien de questionner les salariés sur leur vécu d’usager. 

2- Le deuxième enjeu en découle et consiste à former les participants à la hauteur de l’exigence fixée. 

On ne peut attendre d’un groupe de citoyens ou de collaborateurs – parachutés sur un projet sans préparation préalable – le même niveau d’exigence que si on avait mandaté un groupe d’experts. C’est souvent l’écueil qui est vécu dans les entreprises quand sont mis en place des youth committees, où l’on attend de jeunes talents la maturité et la pertinence d’experts8. Sans formation ou mise en condition, les résultats de la co-construction risquent d’être tièdes, partiels, déjà-vus ou même inadaptés.  

Cette mise en condition, le modèle de la convention citoyenne le prévoit, avec une formation préalable. C’est aussi ce que pratiquent certains élus locaux : “J’avais mis en place un groupe d’experts habitants pour la conception d’un éco-quartier. On les a envoyés voir un éco-quartier à Amsterdam qui avait les mêmes contraintes environnementales que nous pour travailler sur les plans,” nous racontait Damien Carême, l’ancien maire de Grande-Synthe.

Côté entreprise nous pouvons citer le projet d’entreprise Tomorrow starts now de Babilou Family, un acteur de la petite enfance présent dans 12 pays : une task force internationale d’une quinzaine de collaborateurs a rencontré des chercheurs et experts du développement de l’enfant pour les nourrir sur ce que sont les enjeux de care et de pédagogie à notre époque. Après seulement, a eu lieu la co-construction du projet. 

Les modalités sont nombreuses, mais doivent toujours être pensées en cohérence avec les attendus. 

3- Un troisième enjeu consiste à réunir les bonnes personnes autour de la table.

Largement mentionnée par les maires, la représentativité des citoyens est un marronnier irrésolu de la démocratie participative pour construire des solutions pertinentes. Sur la base du volontariat, les profils des participants restent bien souvent les mêmes ; des cadres / professions intellectuelles ou des retraités. D’un autre côté, le tirage au sort peut frustrer certains par son aspect aléatoire. 

Une démarche intéressante – bien qu’énergivore – est à souligner du côté de l’organisation du Grand Débat de la métropole de Nantes qui a procédé à un appel à volontariat avec des relances ciblées, permettant d’atteindre les tranches d’âges les moins représentées. L’objectif était aussi d’inclure ceux qui n’ont pas l’habitude de participer en allant les chercher proactivement par le biais d’appels, de contacts dans la rue ainsi qu’en organisant des rencontres participatives au sein de différents lieux de la métropole fréquentés par ces populations.
Chez les Bosons, lorsque nous intervenons dans les organisations, nous procédons souvent par un mélange entre l’appel à volontariat, pour permettre aux plus intéressés de s’impliquer, et ce que nous appelons malicieusement “la désignation de volontaires” — pour inclure dans les task forces les profils qui nous semblent essentiels pour prendre en compte toutes les contraintes clés et garantir l’acceptabilité du projet.

4- Un dernier enjeu n’a pas été évoqué dans le cadre des entretiens mais a été éprouvé à maintes reprises dans la conduite de nos missions : c’est la définition des modalités de mise en œuvre des décisions prises.

Rien de pire que des décisions longuement débattues, ayant fait l’objet d’un consensus énergivore et qui ne se concrétisent jamais. 

Un mot d’ordre : ne jamais quitter la table des discussions sans avoir adossé à une décision ses conditions de réalisation. Quelle gouvernance pour son exécution et son contrôle ? Qui sont les parties prenantes à mobiliser ? Quelles sont les populations intermédiaires qui permettront le passage à l’échelle des décisions ? 

Nous souhaiterions finalement conclure sur les sages mots d’un de nos clients, Edouard Duroyon, Directeur de la S.A. HLM de l’Oise : “Quand tout le monde a aidé à éplucher les pommes, personne ne peut dire que la tarte a une sale tête !

À table. 

Rose Ollivier, Emilie Berriot et Pierre Jollivet

Bibliographie

  1. The Boson Project, Allo demain ? Ici la ville !, novembre 2023 ↩︎
  2. La démocratie participative désigne l’ensemble des démarches qui visent à associer les citoyens au processus de décision politique. ↩︎
  3. Cevipof Sciences Po, Baromètre de la confiance en politique, février 2023 ↩︎
  4. Whistcom-OpinionWay, Les salariés et la parole des dirigeants, octobre 2023 ↩︎
  5. Salanson, V., & Lair, N. (2021, 28 février). Déçue, la Convention citoyenne pour le climat note sévèrement le gouvernement. Ici, par France Bleu et France 3. ↩︎
  6. Nantes Métropole, Rapport final du grand débat « Fabrique de nos villes. Ensemble, inventons la vie de demain », novembre 2023 ↩︎
  7. Sherry Arnstein, A ladder of citizen participation, Journal of the American Institute of Planners, 1969 ↩︎
  8. Youth Forever, Jeunes & Pouvoir, février 2023 ↩︎