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La stratégie des feux de camp pour transformer le secteur du retail

A l’heure où les entreprises de tout secteur tentent tant bien que mal de répondre aux différentes crises qui se succèdent, le secteur du retail, réceptacle instantané de ces crises, possède des atouts majeurs pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Comment capitaliser sur la structure des organisations du retail pour penser et mener des transformations agiles, subsidiaires et engageantes ? Quelles idées en tirer sur la transformation des organisations au sens large ? Nous explorons cela en croisant nos apprentissages en transformation et en observant de plus près le cas de Mr.Bricolage, enseigne engagée dans une transformation humaine et profonde de ses magasins.

LE RETAIL, RÉCEPTACLE LOUPE DES MUTATIONS DE NOTRE ÉPOQUE

Ce n’est une nouvelle pour personne, le secteur du retail (commerce de détail, grande distribution…) est confronté depuis plusieurs années à une déferlante de changements conjoncturels qui questionnent son modèle. Au palmarès de ces changements : l’accélération de l’omnicanalité (en 2020, 61% des français ont réalisé un achat en ligne, soit 9% de plus qu’en 20181) et l’exigence accrue de consommateurs plus conscients (61% des français sont sensibles aux critères de développement durable lors de leurs achats2).

Au-delà des impacts liés à l’évolution des modes de consommation plus digitaux et responsables, les commerces sont parmi les premiers touchés par les crises qui se sont accélérées ces dernières années. La crise des gilets jaunes par exemple a entrainé une baisse moyenne du chiffre d’affaires des commerçants d’environ 30% entre novembre 2018 et mars 20193. Après la pandémie qui a accéléré la stratégie digitale des retailers en 20214, c’est aujourd’hui au tour de la crise énergétique de contraindre les commerces à se réinventer, cette fois-ci en trouvant des solutions autour de la sobriété.

Force est de constater que les enseignes qui n’arrivent pas à s’adapter à temps ne résistent pas à la déferlante, en atteste la triste fermeture des 500 magasins Camaïeu après 30 ans d’existence. Ainsi, le secteur du retail semble être plus rapidement vulnérable que d’autres aux bouleversements de notre époque qui se font de plus en plus réguliers, exigeant de lui une capacité à pivoter régulièrement et rapidement. Sa survie dépend alors de son agilité, c’est-à-dire de sa capacité à pivoter dans les temps et à avoir des modèles résilients s’adaptant aux changements.

Des mutations successives qui questionnent davantage l’expérience proposée en magasin que leur existence

Avec l’apparition du “quick commerce” (la livraison alimentaire express) et l’explosion du e-commerce, la question de l’existence même des magasins physiques s’est posée… Mais pas très longtemps. D’une part, les magasins participent fortement à la dynamique des centres villes (c’est l’argument phare avancé par les municipalités qui tentent de réguler l’implantation des “dark stores”5) … et d’autre part, les français ont toujours envie d’y aller ! Plaisir, praticité et qualité étant avancés par les consommateurs dans une étude Opinionway de septembre 2022.6

Ce qui est jeu n’est donc pas leur existence, mais les usages et les agréments qu’ils proposent. Car si les consommateurs en France considèrent la préservation de ces magasins comme essentielle, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils sont complètement satisfaits de l’expérience qu’ils y trouvent. D’après le baromètre de la Symétrie des Attentions, il semblerait qu’il y ait un décalage entre la satisfaction perçue par les collaborateurs et celle vécue par les clients, atteignant des écarts jusqu’à 26 points dans la distribution spécialisée.

Et qu’y cherchent-ils ? Ce qui est de plus en plus attendu par ceux qui se rendent en boutique, c’est d’être (bien) conseillé sur leur achat et de vivre l’expérience de la marque. La récente campagne publicitaire de la FNAC7 met ainsi l’accent sur le besoin d’un accompagnement humain lors d’un achat.

C’est donc là que tout se joue : accompagner ceux qui accompagnent le client, pour améliorer leur expérience en tant qu’employé, afin qu’ils soient en capacité de délivrer un service, un accompagnement et une expérience humaine qualitative.

L’évolution de l’expérience client est à mener de pair avec celle de l’expérience collaborateur, bousculée par les nouvelles aspirations des salariés

À l’heure où le secteur du retail est malmené de tous bords et où il faut réinvestir dans les compétences et l’équipement des magasins pour inventer et délivrer une expérience augmentée, les collaborateurs du secteur n’échappent pas à la crise de l’engagement qui sévit. Si nous ne sommes pas au niveau atteint aux Etats-Unis, où un quart de la force de travail a démissionné en 20218 et où certaines enseignes n’arrivent plus à recruter, les métiers du secteur du retail en France sont également en tension (cf. taux de difficulté de 47,3% par Pôle Emploi9).

En regardant de façon générale les principales sources de désengagement du secteur, nous pouvons lister :

  • Le manque de flexibilité dans ces métiers : la présence sur site, des horaires contraignants, des planifications difficiles qui peuvent empiéter sur l’équilibre vie pro./vie perso.
  • Les rémunérations peu attrayantes notamment dans un contexte d’inflation 
  • Les perspectives d’évolution souvent faibles, ne facilitant pas la projection à long-terme au sein de l’entreprise.

En somme, des collaborateurs difficiles à attirer, à retenir et à mettre en posture de délivrer une promesse client différenciante face à des clients plus exigeants. 

On pourrait penser que la réinvention de ces métiers est impossible du fait de la rigidité de l’espace-temps dans lequel ils s’exécutent, mais on voit pourtant des tests et des innovations éclore ça et là. C’est le cas par exemple des Apple Stores qui ont mis en place un programme pilote pour rendre le travail plus flexible en proposant des missions à distance et en magasin pour les vendeurs. Idem pour le groupe Neiman Marcus qui détient les fameuses boutiques par département de luxe Bergdorf Goodman : après des années économiquement difficiles, ils proposent de nouvelles façons de travailler pour les collaborateurs siège mais aussi en magasin où les vendeurs peuvent travailler à distance grâce à des outils digitaux leur permettant d’être en lien avec les clients.


La question de la réinvention du métier pour attirer et engager devient donc plus clé que jamais pour ce secteur à la croisée de multiples réinventions. Des lieux de vente catalyseurs d’interactions humaines de qualité, d’expériences consommateurs singulières et d’une nouvelle qualité de travail, voilà la recette magique que ces acteurs doivent aujourd’hui inventer.

DES STRUCTURES QUI PEUVENT COMPTER SUR DES ATOUTS POUR SE TRANSFORMER

Pas de panique, le tableau n’est pas tout noir. En effet le secteur du retail est très contraint, mais il possède aussi des avantages structurants :

  • les points de vente physiques, par nature distincts et définis, représentent des territoires d’expérimentation propres où héberger des tests et autres POCs (proof of concept ou preuve de concept en français)
  • les fonctions centrales ont la capacité de se porter en centre de veille, pour faire la vigie des initiatives externes et internes, et mutualiser et outiller en conséquence
  • les responsables de sites, en tant qu’entrepreneurs orientés business, sont les premiers intéressés par le soucis du client et la performance économique qui va de pair
  • le client, présent au quotidien, offre la possibilité de recevoir immédiatement des feedbacks et retours : un mur de rebond direct dont nombre de secteurs aimeraient pouvoir profiter.

Cette physionomie du secteur permet de lancer une stratégie de transformation basée sur les feux de camp. Aussi appelée stratégie des petits pas, cette approche consiste à transformer l’organisation par petites étapes successives pour se donner le temps de mobiliser les collaborateurs et de les rendre acteurs. C’est prendre le contrepied de la transformation imposée top-down, linéaire et totale. Comment ? En acceptant l’adaptabilité au local, l’amélioration continue et la transformation progressive. Le parallèle avec le passage des méthodes dites cycles en V vers des méthodes agiles développées dans le secteur de la tech peut être fait : au lieu de lancer un produit lorsque toutes ses fonctionnalités sont finalisées, on lance une version bêta que l’on améliore de façon itérative.

Pour mettre en place la stratégie des petits feux de camps, plusieurs étapes sont nécessaires :

  1. Fixer un cap au niveau de la direction, tout en laissant ouvertes les modalités de mise en œuvre du changement pour qu’elle réponde à la réalité opérationnelle : communication et sensibilisation pour éviter les dérives
  2. Initier la transformation avec un groupe de « sites pilotes » sur la base du volontariat : il peut être intéressant de tester du changement en se basant sur des points de ventes similaires pour faire des A/B tests ou, à l’inverse, d’adopter immédiatement des tests sur des périmètres différents pour obtenir des idées de solutions adaptables à différentes typologies de points de ventes
  3. Élargir progressivement aux autres sites en se basant sur les preuves de réussite des pilotes : approche d’itération, d’amélioration continue et d’émulation collective. 

Ainsi, les exemples de réussite contribuent à inspirer et à embarquer d’autres sites locaux,  suscitant une adhésion de plus en plus forte à la démarche…. et permettent d’allumer de nouveaux feux de camp !

Pour assurer le succès d’une stratégie feu de camps, il est important de: 

• Veiller à valoriser et donner de la visibilité sur les initiatives qui marchent 

• Créer du mouvement et de la transversalité entre les sites pour que les bonnes idées se diffusent

• Accepter que cela puisse prendre plus de temps en termes de mise en place mais que le changement s’ancre dans le réel

• Dernier point à souligner : la prise en compte par la direction du point de départ et des spécificités de chaque entité. Il lui faut accepter que les points de vente engagent la transformation à des rythmes différents et à travers des actions conçues localement, sur la base du cap commun fixé au préalable.

Dans ce contexte, elle accompagne le changement de telle sorte que les équipes locales puissent s’approprier la dynamique sans la subir comme une contrainte. 

Mr.Bricolage, une enseigne qui mise sur la stratégie des feux de camps pour évoluer

Le Groupe Mr.Bricolage a initié un projet de transformation il y a plusieurs années, dans une période où le développement du réseau de magasins ralentissait et où ses perspectives long-terme s’en trouvaient chahutées.

La direction de l’enseigne a alors pris le parti de s’atteler au sujet en s’appuyant sur plusieurs principes :

1er feu de camp allumé : initier la dynamique de changement au niveau des fonctions Siège et Support pour assurer l’exemplarité

En commençant tout d’abord par se questionner sur son propre rôle en tant que Centrale, la direction a adopté une posture d’humilité et ouvert la voie à l’introspection dans une perspective d’amélioration continue. Ces réflexions, accompagnées d’une évolution de la culture et des pratiques, lui a aussi permis de se doter d’un coup d’avance sur les sujets d’organisation du travail, qui s’est montré particulièrement salutaire au moment de la crise sanitaire.

2ème feu de camp allumé : matérialiser l’évolution de la relation client par un concept magasin audacieux …

Pour porter le renouvellement de l’expérience client souhaitée, la Centrale a élaboré pour ses magasins un concept reposant sur 4 piliers de la relation client. Avec une déclinaison à la fois matérielle (offre du magasin, support de vente, etc.) et expériencielle (relation client, animations, etc.), ce concept complet représente un véritable véhicule pour faire évoluer concrètement les pratiques des équipes sur le terrain.

… et le déployer de façon itérative :

> en sélectionnant des magasins motivés, enclins au changement

Afin de vérifier la performance de ce concept pour les magasins de l’enseigne, la direction l’a d’abord déployé sur 3 magasins pilotes. Les retours d’expériences ayant permis d’y apporter quelques évolutions, il a ensuite été possible de le déployer plus largement au sein de son réseau d’adhérents.

> en facilitant l’appropriation par les équipes pour en libérer le potentiel

Parce que ce concept doit être pleinement pris en main par les équipes sur le terrain pour pouvoir libérer son plein potentiel, une méthodologie d’accompagnement évolutive a été conçue pour assister le passage à l’échelle et permettre aux magasins coachés de définir leurs propres moyens et leur approche dans l’adoption et la façon de faire vivre au quotidien cette nouvelle expérience client.

> en faisant porter la voix de ceux qui l’ont fait

Pour engager le plus grand nombre dans le mouvement, les premiers initiés ont pris la parole et se sont fait ambassadeurs. Les témoignages ont ainsi complété les chiffres probants pour montrer la voie aux suivants. Un dispositif de coaching mutualisé entre magasins est en réflexion pour décupler l’impact de ces accompagnements et en faire bénéficier le plus grand nombre tout en maximisant les échanges entre pairs qui sont les plus propices à la mise en mouvement.

Découvrir l’interview d’Arnaud de Malaussène & Anne-Claire Moyer sur la stratégie des petits pas

Références

1 Fédération française des télécoms

2 Indice dédié à l’évolution des modes de consommation, EY, 2021

3 Dégâts, chiffres d’affaires, emplois : les Gilets jaunes mettent les commerçants dans le rouge, Le Parisien, 26/06/2019 : http://www.senat.fr/rap/r18-605/r18-605.html

4 Euromonitor, 2021: 93% des retailers indiquent que la pandémie a accéléré leur stratégie digitale en 2021 

5 Article 20 minutes, “Vive le commerce de proximité, vive le contact humain : les « dark stores » ne sont pas les bienvenus à Lyon”

6 OpinionWay pour Quantaflow et la Fédération des Acteurs du Commerce dans les Territoires – Les Français et le commerce physique – Septembre 2022

 7 Fnac : La Fnac libère la culture avec Publicis Conseil – Image – CB News

 8 Article de Le Monde + labour force data de l’OCDE

9 https://statistiques.pole-emploi.org/bmo/bmo?fg=GC&lg=0&pp=2022&ss=1

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