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L’Homo sapiens numericus & l’Entreprise

La Banque Mondiale annonce 70% de destruction des emplois existants liée à la robotisation de dernière génération à horizon 2030, l’OCDE évalue à 25% les métiers profondément modifies avec l’automatisation, le Forum économique mondial projette que 2/3 des enfants aujourd’hui en maternelle exerceront demain un métier qui n’existe pas encore, Mc Kinsey Institute évoque 40% de temps de travail humain robotisable en moyenne dans le monde. Fragmentation du travail, automatisation, plateformisation, individualisation croissante des attentes et des trajectoires, émergence d’une économie collaborative, globalisation, transversalisation des organisations et des rapports de force, insubordination et « désobéissance éclairée », intelligence artificielle et bêtise humaine, court-termisme rampant et quête de sens existentielle : voilà ce qui contribue à qualifier, entre autres, ce monde économique plein de paradoxes qui est désormais le nôtre et qui exige de repenser en profondeur… l’Entreprise.

L’entreprise est une merveilleuse loupe grossissante des courants et tendances traversant notre époque. Premier lieu où des individus adultes « font société », elle est le réceptacle naturel des transformations technologiques, sociologiques et économiques à l’œuvre.

Intégrée au territoire, partie prenante de la Cité, des mégapoles internationales aux provinces locales, y raisonnent aussi les enjeux de société et toutes les mutations politiques, démographiques et environnementales en cours. Nos doutes, nos angoisses, nos défis, nos passions et nos paradoxes la parcourent : observer l’entreprise qui change, c’est observer le monde qui nous entoure, dans toute sa complexité. Essayer de comprendre ce qui s’y passe, c’est tenter de passer de spectateur à acteur de ces transformations, en tant que collaborateur, manager ou chef d’entreprise, certes, mais également en tant que citoyen, en tant que parent, en tant qu’humain.

Nous sommes au cœur d’une bascule.

« Ceci n’est pas un monde qui change, mais un changement de monde. »

Michel Rocard

La Banque Mondiale annonce 70% de destruction des emplois existants liée à la robotisation de dernière génération à horizon 2030, l’OCDE évalue à 25% les métiers profondément modifies avec l’automatisation, le Forum économique mondial projette que 2/3 des enfants aujourd’hui en maternelle exerceront demain un métier qui n’existe pas encore, Mc Kinsey Institute évoque 40% de temps de travail humain robotisable en moyenne dans le monde. Fragmentation du travail, automatisation, plateformisation, individualisation croissante des attentes et des trajectoires, émergence d’une économie collaborative, globalisation, transversalisation des organisations et des rapports de force, insubordination et « désobéissance éclairée », intelligence artificielle et bêtise humaine, court-termisme rampant et quête de sens existentielle : voilà ce qui contribue à qualifier, entre autres, ce monde économique plein de paradoxes qui est désormais le nôtre et qui exige de repenser en profondeur… l’Entreprise.

Cette dernière voit son système d’organisation traditionnel toucher ses limites sur l’autel de symptômes plus ou moins angoissants : inertie coupable dans un monde frénétique ; turnover des talents ‘hérétiques’ – ceux-là̀ même qui permettent pourtant de faire évoluer la norme – ; incapacité à générer de l’innovation de rupture ; incompréhensions et frustrations managériales à tous les étages ; difficulté à capturer les besoins et enjeux du client final (…), tout ceci se traduisant par un contexte où il est de plus en plus difficile de faire la différence.

La transformation du monde rend le monde de l’Entreprise plus âpre.

Le digital, mère et remède des maux entrepreneuriaux

Dans cette affaire, le digital est loin d’être anodin, tout à la fois cause et conséquence, moyen et fin en soi. Cette 3ème révolution anthropologique majeure de l’histoire de l’humanité comme l’appelle Michel Serres – le numérique – fait de nous des hommes et des femmes en transition, qui ébranlons par nos mutations personnelles et collectives le modèle de l’entreprise tel qu’il s’était façonné sous l’ère moderne : stable, fermé, descendant, pyramidal.

Le digital tue et sauve. Des dérives, il en a, c’est certain. Quand il est vecteur d’isolement, de fracture, d’incompréhension, de désinformation. Mais c’est aussi grâce aux extraordinaires potentialités de cette nouvelle ère que l’Entreprise parviendra à opérer sa mue. Le numérique la métamorphose, toute entière, dans sa culture (que ce soit au travers des comportements, dans la relation au client, ou par les valeurs promues), dans sa structure (par l’organisation du travail et les processus), dans son système de création de valeur (voire sa définition même de la valeur) et dans son management (par la responsabilisation et la subsidiarité, quand il ne fait pas tomber dans les écueils de la taylorisation des tâches à distance).

La bonne fabrique à leadership

« Nous vivons une faillite de la pensée qui nous empêche de comprendre et de qualifier les transitions du monde qui est le nôtre. »

Michel Serres

Ces transformations contemporaines dessinent en creux un défi transversal, immense, sur lequel j’avais à cœur de revenir, tant il me semble nécessaire de l’avoir en tête. Dans un monde complexe, mâtiné d’incertitudes, de turbulences et de crises du sens, où il s’agit de projeter en même temps les plans à 1 an et les plans à 30 ans, de comprendre les méandres des questionnements existentiels d’un corps social tout en appréhendant la complexité de défis techniques ; plus que jamais nous avons besoin de leaders éclairés et éclairants, des leaders globaux, qui agissent pour l’entreprise comme pour la cité.

Ceci n’est pas – seulement – une question de cerveau et d’aptitudes cognitives, d’agilité cérébrale, d’intelligence brute ou de brutes d’intelligence, telles que nous les collectionnons à la tête des organisations. Je convoque ici le sang-froid, le recul, la sérénité, la tempérance, l’humanité, les capteurs ultra développés aux signaux faibles, les profils complets, curieux et humbles, ouverts et gourmands de défis techniques, tactiques et humains. Je ne parle pas de super héros mais de super humains. Où sont-ils ceux qui savent – pour de vrai – choisir et renoncer ? Avons-nous bien pris la mesure de ce qu’imposait cette révolution globale ? Comment les repérer, ces talents vitaux, et comment les former ? Peut-on imaginer les leaders de demain sortir de la fabrique d’hier ?

La lucidité de tous

Ces questionnements faussement naïfs déforment la matrice managériale traditionnelle, questionne la formation des élites ainsi que nos processus de sélection et de développement des dirigeants. Mais il ne s’agit pas de nous défausser collectivement de cette complexité lourde à appréhender sur des chefs omniscients et omnipotents : chacun d’entre nous doit prendre la mesure de la responsabilité qui lui incombe compte tenu de l’époque et du contexte de transformation.

Aux collaborateurs de prendre leurs responsabilités d’agir et d’accompagner – par des changements de posture et un goût renouvelé pour l’apprentissage et le mouvement – les bouleversements métiers, les transformations culturelles et organisationnelles en cours. Aux managers de prendre leurs responsabilités, en permettant l’émergence d’alternatives à eux-mêmes plutôt qu’en transmettant le modèle managérial dominant, en étant à la pointe de l’exigence et de la bienveillance pour tirer le meilleur des femmes et des hommes et de l’engagement. Enfin, aux citoyens que nous sommes de prendre notre responsabilité : nous élever continuellement par comprendre, partager et choisir ce monde en devenir, faire de l’avenir une opportunité, moins pour nous que ceux qui arrivent.

Seule la vigilance et l’engagement de tous multipliera les garde-fous nécessaires pour que jamais l’intelligence artificielle ne supplante la complétude humaine, pour que jamais les illusions du solutionnisme technologique ne nous perde dans une course en avant, pour que toujours les outils que nous manipulons qu’ils soient industriels, numériques ou serviciels soient serviteurs de l’humanité plutôt que de son asservissement.

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