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Il faut réindustrialiser… Mais où sont les ouvriers ?

Après des années de déclin industriel, le gouvernement français annonçait en octobre 2021 un plan à 30 milliards d’euros pour retrouver « un cycle vertueux : innover, produire, exporter, et ainsi financer le modèle social ».

En creux, des enjeux de souveraineté nationale, d’autonomie industrielle dans une époque incertaine mais également l’opportunité d’enclencher une production plus locale et plus durable dans un contexte d’urgence climatique accrue. Car dans cet impératif de décarbonation, l’industrie joue bien un rôle prépondérant avec 20% des émissions carbone françaises (CITEPA) pour 13 % du PIB français en 2018 (Insee).

Or, face à ce double enjeu de réindustrialisation décarbonée, l’emploi sera clé (The Shift Project ; 2021). Pôle emploi recense ainsi une augmentation de pas moins de 24% de projets d’embauche pour l’industrie pour 2022 pour un total de 274 000 intentions d’embauche.

Et pourtant… La demande ne semble pas suivre l’offre.
Car encore faut-il que ces emplois soient assez attractifs pour que l’offre rencontre la demande. Parmi les métiers où le niveau de difficulté de recrutement est le plus élevé, figurent les plombiers et les chauffagistes, les mécaniciens et électroniciens de véhicule, les chaudronniers, les tôliers, les métalliers ou encore les forgerons qualifiés.
Bref, l’attractivité du travail ouvrier est en berne.

Quel pacte social ouvrier désirable construire pour demain ?
On y réfléchit avec vous ?

L’enjeu de réindustrialisation a été remis à la une des agendas politiques ces derniers mois suite aux effets de la crise sanitaire sur le commerce international et plus récemment ceux de l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui ont entraîné le bouleversement de certaines importations. 

Après des années de déclin industriel, (d’après l’INSEE, l’industrie a vu fondre son poids dans l’économie, passant de presque 25 % des emplois dans les années 1980 à seulement 13 % aujourd’hui), le gouvernement français annonçait en octobre 2021 un plan à 30 milliards d’euros pour retrouver « un cycle vertueux : innover, produire, exporter, et ainsi financer le modèle social ».

En creux, des enjeux de souveraineté nationale, d’autonomie industrielle dans une époque incertaine mais également l’opportunité d’enclencher une production plus locale et plus durable dans un contexte d’urgence climatique accrue. Car dans cet impératif de décarbonation, l’industrie joue bien un rôle prépondérant : elle représente 20% des émissions carbone françaises (CITEPA) pour 13 % du PIB de la France en 2018 (Insee). Et si elle a fait depuis les années 1990 un effort de décarbonation, principalement mené par le secteur de la chimie, il reste très insuffisant pour atteindre l’objectif d’une nouvelle réduction de 80 % à 2050 (The Shift Project ; 2022).

Or, face à ce double enjeu de réindustrialisation décarbonée, l’emploi sera clé. 

2 000 recrutements sont prévus chez Accenture seulement en 2022 pour contribuer au plan de réindustrialisation. Et pour adresser les enjeux de transition climatique, le besoin en main d’œuvre après décarbonation des secteurs est estimé à non moins de 301 000 emplois supplémentaires aux 11 444 000 actuels dans l’industrie (The Shift Project ; 2021). Pôle emploi recense ainsi une augmentation de pas moins de 24% de projets d’embauche pour l’industrie pour 2022 pour un total de 274 000 intentions d’embauche. 

Et pourtant… La demande ne semble pas suivre l’offre. 

Car encore faut-il que ces emplois soient assez attractifs pour que l’offre rencontre la demande. 

Parmi les métiers où le niveau de difficulté de recrutement est le plus élevé, figurent les plombiers et les chauffagistes, les mécaniciens et électroniciens de véhicule, les chaudronniers, les tôliers, les métalliers ou encore les forgerons qualifiés. 

Bref, l’attractivité du travail ouvrier est en berne. 

“Les Français ne veulent plus travailler sur des métiers exigeants.” 

En creux de ce constat fataliste d’un DRH d’industrie, nous nous sommes plutôt questionnés sur le pacte proposé aux ouvriers dans un monde post pandémie, post digital, pré-apocalypse environnementale. Est-il satisfaisant au regard de l’évolution des industries et des métiers ? Qu’est-ce qui ne tient plus la route dans le deal pour demain continuer d’attirer une précieuse main-d’œuvre ?  

Nous entendons par industrie la définition de l’INSEE : « les activités économiques qui combinent des facteurs de production (installations, approvisionnements, travail, savoir) pour produire des biens matériels destinés au marché ».

À chaque ère industrielle son pacte social

Pour répondre à cette question, faisons un petit tour sur les pactes sociaux qui ont lié les travailleurs à l’industrie. 

La première révolution industrielle, qui débuta à la fin du 18ème siècle et qui permit le développement de la mécanisation avec un usage croissant de la vapeur ainsi que la construction des chemins de fer, s’épanouit en France dans une société qui n’est pas encore réellement capitaliste. Les premières sociétés en commandite voient le jour mais le tissu économique est alors essentiellement constitué d’entreprises familiales. Le lien de subordination au travail est fort entre le pater – le chef d’entreprise – et ses employés. Ce pouvoir s’exerce avec d’autant plus de nécessité pour le patronat que le travail est encore largement pénible pour les ouvriers. Bien que la mécanisation soit croissante, elle n’est que partielle et le travail de la main reste nécessaire et ce dans des conditions de travail dégradées (pollution de l’air, absence d’équipements de sécurité…). Le pacte social d’alors, entre les ouvriers et les dirigeants d’usine, réside dans la définition même du paternalisme : « un comportement bienveillant et autoritaire du patron envers ses salariés ». On soumettait son corps à l’usure sous la direction du patron en échange d’une protection qui s’étendait jusqu’au cercle familial – avec notamment le développement du logement ouvrier patronal qui a permis à la main d’œuvre de s’extraire du système domestique 2  pour rejoindre l’usine (P. Belda ; 2020). 

La seconde révolution industrielle qu’on situe autour de la fin du 19ème siècle permit, avec un usage intensif de l’électricité et la généralisation des chaînes de montage, le passage à une production de masse. Ce sont les temps modernes de Charlie Chaplin, le travail à la chaîne, divisé en tâches répétitives au nom de la productivité industrielle. On parle alors de taylorisme : une organisation scientifique du travail définie par Frederick Winslow Taylor et ses disciples au travers d’une division verticale et horizontale du travail. On trouve encore aujourd’hui cette organisation du travail dans certaines industries où le travail de la main ne peut être substitué. Des usines à la ligne comme les décrit Joseph Pontus :

« Le boulot n’est pas si dur Répétitif »

Le pacte social de l’époque trouve son meilleur exemple dans les usines américaines de Ford : dans un contexte d’avènement de la société de consommation et de croissance, on accepte de se soumettre au rythme des machines contre la promesse continue d’une augmentation de son pouvoir d’achat. Les contreparties du contrat – les salaires – sont indexées sur les gains de productivité (P. Pochet & G. Fajertag ; 2000). Le paternalisme est discrédité comme un archaïsme et se généralise une bureaucratie d’experts en management. Dans un même temps, le code du travail prend de l’épaisseur et les syndicats, principal contre-pouvoir, sont les garde-fous face aux conséquences de la productivité sur les conditions de travail et les principaux garants d’un accès facilité pour les ouvriers à la société de consommation et ses loisirs via les salaires et les avantages en nature.

Une nouvelle ère qui peine à trouver le sien

La nouvelle industrie n’a rien à voir avec ses aînés issus de la première et de la seconde révolution industrielle : digitalisation des lignes, investissements dans la robotisation, intelligence artificielle mise au service du pilotage des activités… L’outil industriel est refaçonné et, avec lui, le travail humain qui le manipule. 

La troisième révolution industrielle est née à la fin du 20ème siècle d’une convergence des technologies de l’information et de la communication (NTIC). Elle est selon Jeremy Rifkin le berceau d’une production digitalisée, automatisée et décarbonée par l’apport des énergies renouvelables (J. Rifkin ; 2013). Et ce qu’on appelle la 4ème révolution industrielle ou l’« industrie 4.0 » n’est en fait que le prolongement accéléré de la précédente : « les technologies numériques […] ne datent pas d’hier. Ce qui rompt avec la troisième révolution industrielle, c’est leur complexité et leur intégration toujours croissantes, » explique Klaus Schwab dans son ouvrage de 2017. 

Pourtant, si pour Jeremy Rifkin, un basculement est en cours vers une forme d’organisation économique et sociale plus durable fondée sur l’intérêt de la communauté plutôt que sur la satisfaction des désirs individuels, cela ne semble pas être l’usage fait de l’industrie 4.0 et ses services instantanés et sur- mesure. En témoignent les effets pervers d’une livraison toujours plus rapide promise aux consommateurs avec des dérives managériales dans les entrepôts de certains géants du e-commerce. « Il semblerait que le grand gagnant soit le consommateur, » écrit d’ailleurs Klaus Schwab. 

Au cours de ces dernières décennies, cette nouvelle industrie n’a pas tant été mise au service de la décarbonation et d’une économie des communs que de l’augmentation du profit par la financiarisation des organisations. Lean management travesti et recherche d’économies excessives en ressources humaines, promesses d’instantanéité et staffing en flux tendus, plateformisation et ubérisation du travail… Le paradigme dominant de l’emploi industriel se caractérise aujourd’hui par une série de transactions entre un travailleur et une entreprise, plutôt que par une relation durable (D. Pink ; 2002). 

La nature même du travail ouvrier s’est aussi dégradée. Une étude de la Dares montrait il y a tout juste quelques années que le travail tendait à devenir plus répétitif et moins autonome. En 2016, les Français étaient ainsi de moins en moins nombreux à pouvoir « choisir eux-mêmes la façon d’atteindre les objectifs fixés », une tendance particulièrement marquée chez les ouvriers qualifiés (-9,6 points). D’après Danièle Linhart, les promesses d’autonomie et d’implication personnelle que portaient justement le post taylorisme n’ont pas été tenues au regard des enquêtes consacrées ces 30 dernières années sur le sujet. Ce dont souffrent les salariés ? De l’absence des fondamentaux réglementaires de la vie en société et de la considération mutuelle : « on ne s’adresse pas à eux comme à des personnes et la nature de l’activité est telle qu’ils sont assimilés à des pions, des robots interchangeables. » (D. Linhart ; 2015)

Bref, absence de projet industriel d’utilité sociétale, précarisation de l’emploi et baisse d’intérêt du travail ouvrier ont contribué à éloigner petit à petit les Français du secteur, dans un contexte où le tertiaire avait le vent en poupe.

Organisation économique mise en place à partir du XVIème siècle en Europe jusqu’à la première révolution industrielle. Ce mode de production consistait en une relation commerciale entre les agriculteurs et les négociants qui leur fournissaient un travail ouvrier. Ils leur passaient des commandes, que les paysans réalisaient le plus souvent à domicile. Les paysans-ouvriers recevaient la matière première du négociant, qui récupérait plus tard le produit fini.

Et donc, quel deal proposer demain ?

Les premières pistes de solution résident probablement dans le constat ci-dessus. 
Redonner un sens au travail ouvrier dans une industrie relocalisée, décarbonée, souveraine. 
Renouer les liens entre le travailleur et l’entreprise, distendus par la précarisation et le court-termisme contractuel.
Réenchanter le métier. 

C’est probablement ce dernier point qui sera le plus exigeant. 
Car il supposera de profondes refontes managériale, organisationnelle et culturelle. 

Il est d’ailleurs intéressant de noter en miroir le retour en grâce du modèle artisan dans les aspirations professionnelles des Français. Selon une étude de l’institut des métiers de 2014, le nombre de créateurs d’entreprises artisanales issus de l’enseignement supérieur a augmenté de presque 50% entre 2009 et 2013. En 2021 encore, les métiers manuels et de l’artisanat arrivent en tête des professions vers lesquelles les cadres souhaitent se reconvertir (46% des répondants d’une étude de Michael Page). 

Or le travail artisanal a de singulier que le travailleur maîtrise l’ensemble de la chaîne de production et qu’il peut choisir ses outils et la manière dont il souhaite les manipuler. Le travail artisan de la main est indissociable de l’intelligence : l’artisan est capable de créativité (Sennett ; 2010). 

Appliquée à l’industrie, cette souveraineté retrouvée sur le travail impliquerait des modèles managériaux plus subsidiaires, avec des pouvoirs de décision décentralisés, laissant une certaine marge de manœuvre à ceux qui maîtrisent l’outil industriel. Corrélés à tout ça, une organisation du travail remaniée, ainsi que de forts enjeux de développement de compétences et de connaissances. 

On remonte les manches et on s’y met ?

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